Sujet : Fable De La Fontaine! | | Posté le 22-02-2005 à 03:35:04
| Ivrogne et sa Femme! Chacun a son défaut où toujours il revient Honte ni peur n'y remédie Sur ce propos, d'un conte il me souvient Je ne dis rien que je n'appuie De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altérait sa santé, son esprit et sa bourse Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course Qu'ils sont au bout de leurs écus. Un jour que celui-ci plein du jus de la treille Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille Sa femme l'enferma dans un certain tombeau Là les vapeurs du vin nouveau Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve L'attirail de la mort à l'entour de son corps Un luminaire, un drap des morts Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve? Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton Masquée et de sa voix contrefaisant le ton Vient au prétendu mort, approche de sa bière Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer L'Epoux alors ne doute en aucune manière Qu'il ne soit citoyen d'enfer Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme La cellerière du royaume De Satan, reprit-elle, et je porte à manger A ceux qu'enclôt la tombe noire Le Mari repart sans songer Tu ne leur portes point à boire? |
| | Posté le 23-02-2005 à 00:43:30
| L'Aigle, la Laie, et la Chatte! L'Aigle avait ses petits au haut d'un arbre creux La Laie au pied, la Chatte entre les deux Et sans s'incommoder, moyennant ce partage Mères et nourrissons faisaient leur tripotage La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit: Notre mort (Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères) Ne tardera possible guères Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment. Cette maudite Laie, et creuser une mine? C'est pour déraciner le chêne assurément Et de nos nourrissons attirer la ruine L'arbre tombant, ils seront dévorés: Qu'ils s'en tiennent pour assurés. S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte La perfide descend tout droit A l'endroit Où la Laie était en gésine. Ma bonne amie et ma voisine Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits: Obligez-moi de n'en rien dire: Son courroux tomberait sur moi. Dans cette autre famille ayant semé l'effroi La Chatte en son trou se retire L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins De ses petits ; la Laie encore moins: Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins. Ce doit être celui d'éviter la famine A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine Pour secourir les siens dedans l'occasion: L'Oiseau Royal, en cas de mine La Laie, en cas d'irruption. La faim détruisit tout: il ne resta personne De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne Qui n'allât de vie à trépas: Grand renfort pour Messieurs les Chats Que ne sait point ourdir une langue traîtresse. Par sa pernicieuse adresse? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore Celui qu'à meilleur droit tout l'Univers abhorre C'est la fourbe, à mon avis. |
| | Posté le 24-02-2005 à 00:42:09
| Le Renard et le Bouc! Capitaine Renard allait de compagnie Avec son ami Bouc des plus haut encornés Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez L'autre était passé maître en fait de tromperie La soif les obligea de descendre en un puits Là chacun d'eux se désaltère Après qu'abondamment tous deux en eurent pris Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère? Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi Mets-les contre le mur. Le long de ton échine Je grimperai premièrement Puis sur tes cornes m'élevant A l'aide de cette machine. De ce lieu-ci je sortirai Après quoi je t'en tirerai Par ma barbe, dit l'autre, il est bon et je loue Les gens bien sensés comme toi Je n'aurais jamais, quant à moi. Trouvé ce secret, je l'avoue Le Renard sort du puits, laisse son compagnon Et vous lui fait un beau sermon Pour l'exhorter à patience Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence. Autant de jugement que de barbe au menton Tu n'aurais pas, à la légère Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts Car pour moi, j'ai certaine affaire. Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin En toute chose il faut considérer la fin. |
| | Posté le 25-02-2005 à 20:25:13
| La Femme Noyée! Je ne suis pas de ceux qui disent Ce n'est rien C'est une femme qui se noie Je dis que c'est beaucoupet ce sexe vaut bien Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie. Ce que j'avance ici n'est point hors de propos Puisqu'il s'agit en cette Fable, D'une femme qui dans les flots Avait fini ses jours par un sort déplorable Son Epoux en cherchait le corps Pour lui rendre, en cette aventure Les honneurs de la sépulture Il arriva que sur les bords Du fleuve auteur de sa disgrâce Des gens se promenaient ignorants l'accident. Ce mari donc leur demandant S'ils n'avaient de sa femme aperçu nulle trace Nulle, reprit l'un d'eux, mais cherchez-la plus bas Suivez le fil de la rivière Un autre repartit, Non, ne le suivez pas Rebroussez plutôt en arrière Quelle que soit la pente et l'inclination Dont l'eau par sa course l'emporte L'esprit de contradiction L'aura fait flotter d'autre sorte. Cet homme se raillait assez hors de saison Quant à l'humeur contredisante Je ne sais s'il avait raison Mais que cette humeur soit ou non Le défaut du sexe et sa pente Quiconque avec elle naîtra Sans faute avec elle mourra Et jusqu'au bout contredira Et, s'il peut, encor par-delà. |
| | Posté le 27-02-2005 à 12:19:50
| Les Grenouilles qui demandent un Roi! De l'état Démocratique Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort peureuse S'alla cacher sous les eaux Dans les joncs, dans les roseaux Dans les trous du marécage Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau Or c'était un Soliveau De qui la gravité fit peur à la première Qui de le voir s'aventurant Osa bien quitter sa tanière Elle approcha, mais en tremblant Une autre la suivit, une autre en fit autant Il en vint une fourmilière Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi Jupin en a bientôt la cervelle rompue Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue. Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue Qui les croque, qui les tue Qui les gobe à son plaisir Et Grenouilles de se plaindre Et Jupin de leur dire: Eh quoi! votre désir. A ses lois croit-il nous astreindre? Vous avez dû premièrement Garder votre Gouvernement Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire Que votre premier roi fût débonnaire et doux. De celui-ci contentez-vous De peur d'en rencontrer un pire. |
| | Posté le 28-02-2005 à 02:51:20
| Le Loup devenu Berger! Un Loup qui commençait d'avoir petite part Aux Brebis de son voisinage Crut qu'il fallait s'aider de la peau du Renard Et faire un nouveau personnage Il s'habille en Berger, endosse un hoqueton Fait sa houlette d'un bâton Sans oublier la Cornemuse Pour pousser jusqu'au bout la ruse Il aurait volontiers écrit sur son chapeau C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau Sa personne étant ainsi faite Et ses pieds de devant posés sur sa houlette Guillot le sycophante approche doucement Guillot le vrai Guillot étendu sur l'herbette Dormait alors profondément Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette La plupart des Brebis dormaient pareillement L'hypocrite les laissa faire Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis Il voulut ajouter la parole aux habits Chose qu'il croyait nécessaire Mais cela gâta son affaire Il ne put du Pasteur contrefaire la voix Le ton dont il parla fit retentir les bois Et découvrit tout le mystère Chacun se réveille à ce son Les Brebis, le Chien, le Garçon Le pauvre Loup, dans cet esclandre Empêché par son hoqueton Ne put ni fuir ni se défendre Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre Quiconque est Loup agisse en Loup C'est le plus certain de beaucoup. |
| | Posté le 01-03-2005 à 03:33:54
| Le Loup et la Cigogne! Les Loups mangent gloutonnement Un Loup donc étant de frairie Se pressa, dit-on, tellement Qu'il en pensa perdre la vie. Un os lui demeura bien avant au gosier De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier Près de là passe une Cigogne Il lui fait signe elle accourt Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne. Elle retira l'os, puis pour un si bon tour Elle demanda son salaire Votre salaire? dit le Loup Vous riez, ma bonne commère! Quoi? ce n'est pas encor beaucoup. D'avoir de mon gosier retiré votre cou? Allez, vous êtes une ingrate Ne tombez jamais sous ma patte. |
| | Posté le 02-03-2005 à 03:53:35
| Le Chat et un Vieux Rat J'ai lu chez un conteur de Fables Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des Chats L'Attila, le fléau des Rats Rendait ces derniers misérables. J'ai lu, dis-je, en certain Auteur Que ce Chat exterminateur Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde Il voulait de Souris dépeupler tout le monde Les planches qu'on suspend sur un léger appui. La mort aux Rats, les Souricières N'étaient que jeux au prix de lui Comme il voit que dans leurs tanières Les Souris étaient prisonnières Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher. Le galant fait le mort, et du haut d'un plancher Se pend la tête en bas : la bête scélérate A de certains cordons se tenait par la patte Le peuple des Souris croit que c'est châtiment Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage. Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement Toutes, dis-je, unanimement Se promettent de rire à son enterrement Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête. Puis rentrent dans leurs nids à rats Puis ressortant font quatre pas Puis enfin se mettent en quête Mais voici bien une autre fête Le pendu ressuscite et sur ses pieds tombant. Attrape les plus paresseuses Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant C'est tour de vieille guerre et vos cavernes creuses Ne vous sauveront pas, je vous en avertis Vous viendrez toutes au logis. Il prophétisait vrai notre maître Mitis Pour la seconde fois les trompe et les affine Blanchit sa robe et s'enfarine Et de la sorte déguisé Se niche et se blottit dans une huche ouverte. Ce fut à lui bien avisé La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte Un Rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour Même il avait perdu sa queue à la bataille. Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille S'écria-t-il de loin au Général des Chats Je soupçonne dessous encor quelque machine Rien ne te sert d'être farine Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas. C'était bien dit à lui, j'approuve sa prudence Il était expérimenté Et savait que la méfiance Est mère de la sûreté. |
| | Posté le 03-03-2005 à 02:44:27
| La Belette entrée dans un Grenier! Damoiselle Belette, au corps long et flouet Entra dans un Grenier par un trou fort étroit Elle sortait de maladie Là, vivant à discrétion La galante fit chère lie Mangea, rongea, Dieu sait la vie Et le lard qui périt en cette occasion! La voilà, pour conclusion Grasse, mafflue et rebondie. Au bout de la semaine, ayant dîné son soû Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise Après avoir fait quelques tours C'est, dit-elle, l'endroit, me voilà bien surprise. J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours Un Rat, qui la voyait en peine Lui dit: Vous aviez lors la panse un peu moins pleine Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres. Mais ne confondons point, par trop approfondir Leurs affaires avec les vôtres. |
| | Posté le 07-03-2005 à 13:44:28
| Le Lion Abattu par L'homme! On exposait une peinture Où l'artisan avait tracé Un Lion d'immense stature Par un seul homme terrassé. Les regardants en tiraient gloire Un Lion en passant rabattit leur caquet Je vois bien, dit-il, qu'en effet On vous donne ici la victoire Mais l'Ouvrier vous a déçus. Il avait liberté de feindre Avec plus de raison nous aurions le dessus Si mes confrères savaient peindre. |
| | Posté le 08-03-2005 à 13:19:36
| Le Lion devenu Vieux! Le Lion, terreur des forêts Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse Fut enfin attaqué par ses propres sujets Devenus forts par sa faiblesse. Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne Peut a peine rugir, par l'âge estropié Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes. Quand voyant l'Ane même à son antre accourir Ah! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes. |
| | Posté le 09-03-2005 à 15:25:26
| Philomèle et Progné! Autrefois Progné l'hirondelle De sa demeure s'écarta Et loin des Villes s'emporta Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle. Ma soeur, lui dit Progné, comment vous portez-vous? Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue Je ne me souviens point que vous soyez venue Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous Dites-moi, que pensez-vous faire? Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire? Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux? Progné lui repartit: Eh quoi ? cette musique Pour ne chanter qu'aux animaux Tout au plus à quelque rustique? Le désert est-il fait pour des talents si beaux? Venez faire aux cités éclater leurs merveilles Aussi bien, en voyant les bois Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois Parmi des demeures pareilles. Exerça sa fureur sur vos divins appas Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage Qui fait, reprit sa soeur, que je ne vous suis pas En voyant les hommes, hélas! Il m'en souvient bien davantage. |
| | Posté le 10-03-2005 à 15:07:24
| Le Renard et les Raisins! Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des Raisins mûrs apparemment Et couverts d'une peau vermeille. Le galand en eût fait volontiers un repas Mais comme il n'y pouvait atteindre Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats Fit-il pas mieux que de se plaindre? |
| | Posté le 12-03-2005 à 15:28:14
| La Goutte et l'Araignée! Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter D'être pour l'humaine lignée Egalement à redouter. Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter Voyez-vous ces cases étrètes Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés? Je me suis proposé d'en faire vos retraites Tenez donc, voici deux bûchettes. Accommodez-vous, ou tirez Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise L'autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins De ces gens nommés Médecins Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise. Elle prend l'autre lot, y plante le piquet S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme Disant: Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme Ni que d'en déloger et faire mon paquet Jamais Hippocrate me somme. L'Aragne cependant se campe en un lambris Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie Travaille à demeurer, voilà sa toile ourdie Voilà des moucherons de pris Une servante vient balayer tout l'ouvrage. Autre toile tissue, autre coup de balai Le pauvre Bestion tous les jours déménage Enfin, après un vain essai Il va trouver la Goutte Elle était en campagne Plus malheureuse mille fois. Que la plus malheureuse Aragne Son hôte la menait tantôt fendre du bois Tantôt fouir, houer Goutte bien tracassée Est, dit-on, à demi pansée Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister. Changeons, ma soeur l'Aragné Et l'autre d'écouter Elle la prend au mot, se glisse en la cabane Point de coup de balai qui l'oblige à changer La Goutte, d'autre part, va tout droit se loger Chez un Prélat, qu'elle condamne. A jamais du lit ne bouger Cataplasmes, Dieu sait Les gens n'ont point de honte De faire aller le mal toujours de pis en pis L'une et l'autre trouva de la sorte son conte Et fit très sagement de changer de logis. |
| | Posté le 14-03-2005 à 02:50:38
| Le Cygne et le Cuisinier! Dans une ménagerie De volatiles remplie Vivaient le Cygne et l'Oison Celui-là destiné pour les regards du maître. Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être Commensal du jardin, l'autre, de la maison Des fossés du Château faisant leurs galeries Tantôt on les eût vus côte à côte nager Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger. Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup Prit pour Oison le Cygne ; et le tenant au cou Il allait l'égorger, puis le mettre en potage L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage. Le Cuisinier fut fort surpris Et vit bien qu'il s'était mépris Quoi? Je mettrois, dit-il un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe. La gorge à qui s'en sert si bien! Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe Le doux parler ne nuit de rien. |
| | Posté le 15-03-2005 à 12:51:29
| Les Loups et les Brebis! Après mille ans et plus de guerre déclarée Les Loups firent la paix avecque les Brebis C'était apparemment le bien des deux partis Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée. Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits Jamais de liberté, ni pour les pâturages Ni d'autre part pour les carnages Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens La paix se conclut donc, on donne des otages. Les Loups, leurs Louveteaux et les Brebis, leurs Chiens. L'échange en étant fait aux formes ordinaires Et réglé par des Commissaires Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats. Se virent Loups parfaits et friands de tuerie lls vous prennent le temps que dans la Bergerie Messieurs les Bergers n'étaient pas Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avaient averti leurs gens secrètement Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement Furent étranglés en dormant Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa. Nous pouvons conclure de là Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle La paix est fort bonne de soi J'en conviens, mais de quoi sert-elle Avec des ennemis sans foi? |
| | Posté le 16-03-2005 à 14:02:38
| Le Meunier, son Fils, et l'Ane! L'invention des Arts étant un droit d'aînesse Nous devons l'Apologue à l'ancienne Grèce Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n'y trouvent à glaner. La feinte est un pays plein de terres désertes Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes Je t'en veux dire un trait assez bien inventé Autrefois à Racan Malherbe l'a conté Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa Lyre. Disciples d'Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins (Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins) Racan commence ainsi, Dites-moi, je vous prie Vous qui devez savoir les choses de la vie. Qui par tous ses degrés avez déjà passé Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance Dois-je dans la Province établir mon séjour. Prendre emploi dans l'Armée, ou bien charge à la Cour? Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes La guerre a ses douceurs, l'Hymen a ses alarmes Si je suivais mon goût, je saurais où buter Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter. Malherbe là-dessus, Contenter tout le monde! Ecoutez ce récit avant que je réponde. J'ai lu dans quelque endroit qu'un Meunier et son fils L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire. Allaient vendre leur Ane, un certain jour de foire Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit On lui lia les pieds, on vous le suspendit Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre. Le premier qui les vit de rire s'éclata Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense Le Meunier à ces mots connaît son ignorance Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L'Ane, qui goûtait fort l'autre façon d'aller Se plaint en son patois. Le Meunier n'en a cure Il fait monter son fils, il suit, et d'aventure Passent trois bons Marchands. Cet objet leur déplut Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put. Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise Jeune homme, qui menez Laquais à barbe grise C'était à vous de suivre, au vieillard de monter Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte. Quand trois filles passant, l'une dit: C'est grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils Tandis que ce nigaud, comme un Evêque assis Fait le veau sur son Ane, et pense être bien sage Il n'est, dit le Meunier, plus de Veaux à mon âge. Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez Après maints quolibets coup sur coup renvoyés L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous. Le Baudet n'en peut plus, il mourra sous leurs coups Hé quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique? Sans doute qu'à la Foire ils vont vendre sa peau Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau. Qui prétend contenter tout le monde et son père Essayons toutefois, si par quelque manière Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux L'Ane, se prélassant, marche seul devant eux Un quidam les rencontre, et dit: Est-ce la mode. Que Baudet aille à l'aise, et Meunier s'incommode? Qui de l'âne ou du maître est fais pour se lasser? Je conseille à ces gens de le faire enchâsser Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane Nicolas au rebours, car, quand il va voir Jeanne. Il monte sur sa bête et la chanson le dit Beau trio de Baudets ! Le Meunier repartit Je suis Ane, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue Mais que dorénavant on me blâme, on me loue Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien. J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien. Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince Allez, venez, courez demeurez en Province Prenez femme, Abbaye, Emploi, Gouvernement Les gens en parleront, n'en doutez nullement. |
| | Posté le 17-03-2005 à 00:37:05
| La Cigale et la Fourmi! La Cigale, ayant chanté Tout l'été Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine La priant de lui prêter. Quelque grain pour subsister Jusqu'à la saison nouvelle Je vous paierai, lui dit-elle Avant l'Oût, foi d'animal Intérêt et principal. La Fourmi n'est pas prêteuse C'est là son moindre défaut Que faisiez-vous au temps chaud? Dit-elle à cette emprunteuse Nuit et jour à tout venant. Je chantais, ne vous déplaise Vous chantiez? j'en suis fort aise Eh bien! dansez maintenant. |
| | Posté le 18-03-2005 à 13:34:09
| Le Corbeau et le Renard! Maître Corbeau, sur un arbre perché Tenait en son bec un fromage Maître Renard, par l'odeur alléché Lui tint à peu près ce langage. Hé! bonjour, Monsieur du Corbeau Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie Et pour montrer sa belle voix Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie Le Renard s'en saisit, et dit: Mon bon Monsieur Apprenez que tout flatteur. Vit aux dépens de celui qui l'écoute Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute Le Corbeau, honteux et confus Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. |
| | Posté le 21-03-2005 à 00:43:41
| La Grenouille qui veut se faire aussi Grosse que le Boeuf! Une Grenouille vit un Boeuf Qui lui sembla de belle taille Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille Pour égaler l'animal en grosseur. Disant "Regardez bien, ma soeur Est-ce assez? dites-moi, n'y suis-je point encore? Nenni- M'y voici donc? Point du tout, M'y voilà? Vous n'en approchez point. La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs Tout petit prince a des ambassadeurs Tout marquis veut avoir des pages. |
| | Posté le 22-03-2005 à 12:54:59
| Les Deux Mulets! Deux Mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé L'autre portant l'argent de la Gabelle Celui-ci, glorieux d'une charge si belle N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé. Il marchait d'un pas relevé Et faisait sonner sa sonnette Quand l'ennemi se présentant Comme il en voulait à l'argent Sur le Mulet du fisc une troupe se jette. Le saisit au frein et l'arrête Le Mulet, en se défendant Se sent percer de coups: il gémit, il soupire Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis? Ce Mulet qui me suit du danger se retire. Et moi j'y tombe, et je péris Ami, lui dit son camarade Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut Emploi Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi Tu ne serais pas si malade. |
| | Posté le 23-03-2005 à 13:06:21
| Le Loup et le Chien! Un Loup n'avait que les os et la peau Tant les chiens faisaient bonne garde Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers Sire Loup l'eût fait volontiers Mais il fallait livrer bataille Et le Mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le Loup donc l'aborde humblement Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu'il admire "Il ne tiendra qu'à vous beau sire D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien Vos pareils y sont misérables Cancres, haires, et pauvres diables Dont la condition est de mourir de faim Car quoi? rien d'assuré, point de franche lippée. Tout à la pointe de l'épée Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin Le Loup reprit, Que me faudra-t-il faire? Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants. Flatter ceux du logis, à son Maître complaire Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons Os de poulets, os de pigeons Sans parler de mainte caresse. Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé Qu'est-ce là? lui dit-il. Rien, Quoi? rien? Peu de chose Mais encore? Le collier dont je suis attaché. De ce que vous voyez est peut-être la cause Attaché? dit le Loup, vous ne courez donc pas Où vous voulez? Pas toujours mais qu'importe? Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte. Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore. |
| | Posté le 24-03-2005 à 16:58:40
| La Besace! Jupiter dit un jour: Que tout ce qui respire S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur Si dans son composé quelqu'un trouve à redire Il peut le déclarer sans peur. Je mettrai remède à la chose Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause Voyez ces animaux, faites comparaison De leurs beautés avec les vôtres Etes-vous satisfait? - Moi? dit-il, pourquoi non? N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres? Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre. Tant s'en faut de sa forme il se loua très fort Glosa sur l'Eléphant, dit qu'on pourrait encore Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles Que c'était une masse informe et sans beauté L'Eléphant étant écouté. Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles Il jugea qu'à son appétit Dame Baleine était trop grosse Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit Se croyant, pour elle, un colosse. Jupin les renvoya s'étant censurés tous Du reste, contents d'eux mais parmi les plus fous Notre espèce excella car tout ce que nous sommes Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes. On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain Le Fabricateur souverain Nous créa Besaciers tous de même manière Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui Il fit pour nos défauts la poche de derrière, Et celle de devant pour les défauts d'autrui. |
| | Posté le 28-03-2005 à 07:23:44
| L'Hirondelle et les petits Oiseaux! Une Hirondelle en ses voyages Avait beaucoup appris Quiconque a beaucoup vu Peut avoir beaucoup retenu. Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages Et devant qu'ils fussent éclos Les annonçait aux Matelots Il arriva qu'au temps que le chanvre se sème Elle vit un manant en couvrir maints sillons. Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin Voyez-vous cette main qui par les airs chemine? Un jour viendra, qui n'est pas loin. Que ce qu'elle répand sera votre ruine De là naîtront engins à vous envelopper Et lacets pour vous attraper Enfin mainte et mainte machine Qui causera dans la saison. Votre mort ou votre prison Gare la cage ou le chaudron! C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle Mangez ce grain; et croyez-moi Les Oiseaux se moquèrent d'elle. Ils trouvaient aux champs trop de quoi Quand la chènevière fut verte L'Hirondelle leur dit, Arrachez brin à brin Ce qu'a produit ce maudit grain Ou soyez sûrs de votre perte. Prophète de malheur, babillarde, dit-on Le bel emploi que tu nous donnes! Il nous faudrait mille personnes Pour éplucher tout ce canton La chanvre étant tout à fait crue. L'Hirondelle ajouta, ceci ne va pas bien Mauvaise graine est tôt venue Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien Dès que vous verrez que la terre Sera couverte, et qu'à leurs blés. Les gens n'étant plus occupés Feront aux oisillons la guerre Quand reginglettes et réseaux Attraperont petits Oiseaux Ne volez plus de place en place. Demeurez au logis, ou changez de climat Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse Mais vous n'êtes pas en état De passer, comme nous, les déserts et les ondes Ni d'aller chercher d'autres mondes. C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur Les Oisillons, las de l'entendre Se mirent à jaser aussi confusément Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre. Ouvrait la bouche seulement Il en prit aux uns comme aux autres Maint oisillon se vit esclave retenu Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres Et ne croyons le mal que quand il est venu. |
| | Posté le 29-03-2005 à 06:22:49
| Le Rat de Ville et le Rat des Champs! Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs D'une façon fort civile A des reliefs d'Ortolans. Sur un Tapis de Turquie Le couvert se trouva mis Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis Le régal fut fort honnête. Rien ne manquait au festin Mais quelqu'un troubla la fête Pendant qu'ils étaient en train A la porte de la salle Ils entendirent du bruit. Le Rat de ville détale Son camarade le suit Le bruit cesse, on se retire Rats en campagne aussitôt Et le citadin de dire. Achevons tout notre rôt C'est assez, dit le rustique Demain vous viendrez chez moi Ce n'est pas que je me pique De tous vos festins de Roi. Mais rien ne vient m'interrompre Je mange tout à loisir Adieu donc fit du plaisir Que la crainte peut corrompre. |
| | Posté le 01-04-2005 à 14:58:11
| Le Loup et l'Agneau! La raison du plus fort est toujours la meilleure Nous l'allons montrer tout à l'heure Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure Et que la faim en ces lieux attirait Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? Dit cet animal plein de rage Tu seras châtié de ta témérité. Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant. Plus de vingt pas au-dessous d'Elle Et que par conséquent, en aucune façon Je ne puis troubler sa boisson Tu la troubles, reprit cette bête cruelle Et je sais que de moi tu médis l'an passé. Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né? Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère Si ce n'est toi, c'est donc ton frère Je n'en ai point, c'est donc quelqu'un des tiens Car vous ne m'épargnez guère. Vous, vos bergers, et vos chiens On me l'a dit, il faut que je me venge Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange Sans autre forme de procès. |
| | Posté le 05-04-2005 à 14:10:53
| L'Homme et son Image! Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux Passait dans son esprit pour le plus beau du monde Il accusait toujours les miroirs d'être faux Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les Conseillers muets dont se servent nos Dames Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands Miroirs aux poches des galands Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narcisse ? Il va se confiner Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure Mais un canal, formé par une source pure. Se trouve en ces lieux écartés Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau Mais quoi, le canal est si beau. Qu'il ne le quitte qu'avec peine On voit bien où je veux venir Je parle à tous ; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même. Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes Et quant au Canal, c'est celui Que chacun sait, le Livre des Maximes. |
| | Posté le 06-04-2005 à 14:23:33
| Le Dragon à plusieurs Têtes et le Dragon à plusieurs Queues! Un Envoyé du Grand Seigneur Préférait, dit l'Histoire, un jour chez l'Empereur Les forces de son Maître à celles de l'Empire Un Allemand se mit à dire. Notre prince a des dépendants Qui de leur chef sont si puissants Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée Le Chiaoux, homme de sens Lui dit: Je sais par renommée. Ce que chaque Electeur peut de monde fournir Et cela me fait souvenir D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie. Mon sang commence à se glacer Et je crois qu'à moins on s'effraie Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal Jamais le corps de l'animal Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture. Je rêvais à cette aventure Quand un autre Dragon, qui n'avait qu'un seul chef Et bien plus d'une queue, à passer se présente Me voilà saisi derechef D'étonnement et d'épouvante. Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre Je soutiens qu'il en est ainsi De votre Empereur et du nôtre. |
| | Posté le 08-04-2005 à 15:24:38
| Les Voleurs et l'Ane! Pour un Ane enlevé deux Voleurs se battaient L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre Tandis que coups de poing trottaient Et que nos champions songeaient à se défendre. Arrive un troisième larron Qui saisit maître Aliboron L'Ane, c'est quelquefois une pauvre province Les voleurs sont tel ou tel prince Comme le Transylvain, le Turc, et le Hongrois. Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois Il est assez de cette marchandise De nul d'eux n'est souvent la Province conquise Un quart Voleur survient, qui les accorde net En se saisissant du Baudet. |
| | Posté le 11-04-2005 à 14:38:39
| Simonide préservé par les Dieux! On ne peut trop louer trois sortes de personnes Les Dieux, sa Maîtresse, et son Roi Malherbe le disait, j'y souscris quant à moi Ce sont maximes toujours bonnes. La louange chatouille et gagne les esprits Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix Voyons comme les Dieux l'ont quelquefois payée Simonide avait entrepris L'éloge d'un Athlète, et, la chose essayée. Il trouva son sujet plein de récits tout nus Les parents de l'Athlète étaient gens inconnus Son père, un bon Bourgeois, lui sans autre mérite Matière infertile et petite Le Poète d'abord parla de son Héros. Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire Il se jette à côté, se met sur le propos De Castor et Pollux, ne manque pas d'écrire Que leur exemple était aux lutteurs glorieux Elève leurs combats, spécifiant les lieux. Où ces frères s'étaient signalés davantage Enfin l'éloge de ces Dieux Faisait les deux tiers de l'ouvrage L'Athlète avait promis d'en payer un talent Mais quand il le vit, le galand. N'en donna que le tiers, et dit fort franchement Que Castor et Pollux acquitassent le reste Faites-vous contenter par ce couple céleste Je vous veux traiter cependant Venez souper chez moi, nous ferons bonne vie. Les conviés sont gens choisis Mes parents, mes meilleurs amis Soyez donc de la compagnie Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur De perdre, outre son dû, le gré de sa louange Il vient, l'on festine, l'on mange. Chacun étant en belle humeur Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte Deux hommes demandaient à le voir promptement Il sort de table, et la cohorte N'en perd pas un seul coup de dent. Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge Tous deux lui rendent grâce, et pour prix de ses vers Ils l'avertissent qu'il déloge Et que cette maison va tomber à l'envers La prédiction en fut vraie. Un pilier manque et le plafonds Ne trouvant plus rien qui l'étaie Tombe sur le festin, brise plats et flacons N'en fait pas moins aux Echansons Ce ne fut pas le pis, car, pour rendre complète. La vengeance due au Poète Une poutre cassa les jambes à l'Athlète Et renvoya les conviés Pour la plupart estropiés La renommée eut soin de publier l'affaire. Chacun cria miracle. On doubla le salaire Que méritaient les vers d'un homme aimé des Dieux Il n'était fils de bonne mère Qui, les payant à qui mieux mieux Pour ses ancêtres n'en fit faire. Je reviens à mon texte et dis premièrement Qu'on ne saurait manquer de louer largement Les Dieux et leurs pareils de plus, que Melpomène Souvent sans déroger trafique de sa peine Enfin qu'on doit tenir notre art en quelque prix. Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font grâce Jadis l'Olympe et le Parnasse Etaient frères et bons amis. |
| | Posté le 12-04-2005 à 05:21:45
| La Mort et le Malheureux! Un Malheureux appelait tous les jours La mort à son secours O mort, lui disait-il, que tu me sembles belle! Viens vite, viens finir ma fortune cruelle. La Mort crut, en venant, l'obliger en effet Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre Que vois-je! cria-t-il, ôtez-moi cet objet Qu'il est hideux ! que sa rencontre Me cause d'horreur et d'effroi! N'approche pas, ô mort, ô mort, retire-toi Mécénas fut un galant homme Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme Je vive, c'est assez, je suis plus que content. Ne viens jamais, ô mort, on t'en dit tout autant. |
| | Posté le 13-04-2005 à 13:52:01
| La Mort et le Bûcheron! Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur Il met bas son fagot, il songe à son malheur Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde? En est-il un plus pauvre en la machine ronde? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts Le créancier, et la corvée Lui font d'un malheureux la peinture achevée Il appelle la mort, elle vient sans tarder Lui demande ce qu'il faut faire. C'est, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois, tu ne tarderas guère Le trépas vient tout guérir Mais ne bougeons d'où nous sommes Plutôt souffrir que mourir. C'est la devise des hommes. |
| | Posté le 14-04-2005 à 16:08:06
| L'Homme entre Deux Ages, et ses deux Maîtresses! Un homme de moyen âge Et tirant sur le grison Jugea qu'il était saison De songer au mariage. Il avait du comptant Et partant De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant Bien adresser n'est pas petite affaire. Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre Mais qui réparait par son art Ce qu'avait détruit la nature Ces deux Veuves, en badinant. En riant, en lui faisant fête L'allaient quelquefois testonnant C'est-à-dire ajustant sa tête La Vieille à tous moments de sa part emportait Un peu du poil noir qui restait. Afin que son amant en fût plus à sa guise La Jeune saccageait les poils blancs à son tour Toutes deux firent tant, que notre tête grise Demeura sans cheveux, et se douta du tour Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles. Qui m'avez si bien tondu J'ai plus gagné que perdu Car d'Hymen point de nouvelles Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon Je vécusse, et non à la mienne. Il n'est tête chauve qui tienne Je vous suis obligé, Belles, de la leçon. |
| | Posté le 15-04-2005 à 12:39:30
| Le Renard et la Cigogne! Compère le Renard se mit un jour en frais et retint à dîner commère la Cigogne Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts Le galant pour toute besogne. Avait un brouet clair, il vivait chichement Ce brouet fut par lui servi sur une assiette La Cigogne au long bec n'en put attraper miette Et le drôle eut lapé le tout en un moment Pour se venger de cette tromperie. A quelque temps de là, la Cigogne le prie Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis Je ne fais point cérémonie A l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse. Loua très fort la politesse Trouva le dîner cuit à point Bon appétit surtout, Renards n'en manquent point Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser En un vase à long col et d'étroite embouchure Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer Mais le museau du sire était d'autre mesure Il lui fallut à jeun retourner au logis. Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris Serrant la queue, et portant bas l'oreille Trompeurs, c'est pour vous que j'écris Attendez-vous à la pareille. |
| | Posté le 20-04-2005 à 15:23:20
| L'Enfant et le Maître d'Ecole! Dans ce récit je prétends faire voir D'un certain sot la remontrance vaine Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir En badinant sur les bords de la Seine. Le Ciel permit qu'un saule se trouva Dont le branchage, après Dieu, le sauva S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule Par cet endroit passe un Maître d'école L'Enfant lui crie, "Au secours! je péris." Le Magister, se tournant à ses cris D'un ton fort grave à contre-temps s'avise De le tancer, Ah! le petit babouin! Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise! Et puis, prenez de tels fripons le soin. Que les parents sont malheureux qu'il faille Toujours veiller à semblable canaille! Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort! Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant Se peut connaître au discours que j'avance Chacun des trois fait un peuple fort grand Le Créateur en a béni l'engeance En toute affaire ils ne font que songer. Aux moyens d'exercer leur langue Hé ! mon ami, tire-moi de danger Tu feras après ta harangue. |
| | Posté le 22-04-2005 à 14:47:53
| Le Coq et la Perle! Un jour un Coq détourna Une Perle, qu'il donna Au beau premier Lapidaire Je la crois fine, dit-il. Mais le moindre grain de mil Serait bien mieux mon affaire. Un ignorant hérita D'un manuscrit, qu'il porta Chez son voisin le Libraire. Je crois, dit-il, qu'il est bon Mais le moindre ducaton Serait bien mieux mon affaire. |
| | Posté le 28-04-2005 à 16:21:15
| L'Homme et son Image! Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux Passait dans son esprit pour le plus beau du monde Il accusait toujours les miroirs d'être faux Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les Conseillers muets dont se servent nos Dames Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands Miroirs aux poches des galands. Miroirs aux ceintures des femmes Que fait notre Narcisse? Il va se confiner Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure Mais un canal, formé par une source pure. Se trouve en ces lieux écartés Il s'y voit, il se fâche et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau Mais quoi, le canal est si beau. Qu'il ne le quitte qu'avec peine On voit bien où je veux venir Je parle à tous et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même. Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes Et quant au Canal, c'est celui Que chacun sait, le Livre des Maximes. |
| | Posté le 29-04-2005 à 15:02:50
| Les Frelons et les Mouches à Miel! De l'oeuvre on connaît l'Artisan Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent Des Frelons les réclamèrent Des Abeilles s'opposant. Devant certaine Guêpe on traduisit la cause Il était malaisé de décider la chose Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs De couleur fort tannée, et tels que les Abeilles. Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons Ces enseignes étaient pareilles La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière Entendit une fourmilière. Le point n'en put être éclairci De grâce, à quoi bon tout ceci? Dit une Abeille fort prudente Depuis tantôt six mois que la cause est pendante Nous voici comme aux premiers jours. Pendant cela le miel se gâte Il est temps désormais que le juge se hâte N'a-t-il point assez léché l'Ours? Sans tant de contredits, et d'interlocutoires Et de fatras, et de grimoires. Travaillons, les Frelons et nous On verra qui sait faire, avec un suc si doux Des cellules si bien bâties Le refus des Frelons fit voir Que cet art passait leur savoir. Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès! Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode! Le simple sens commun nous tiendrait lieu de Code Il ne faudrait point tant de frais. Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge On nous mine par des longueurs On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge Les écailles pour les plaideurs. |
| | Posté le 02-05-2005 à 15:28:35
| Le Chêne et le Roseau! Le Chêne un jour dit au Roseau Vous avez bien sujet d'accuser la Nature Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau Le moindre vent, qui d'aventure. Fait rider la face de l'eau Vous oblige à baisser la tête Cependant que mon front, au Caucase pareil Non content d'arrêter les rayons du soleil Brave l'effort de la tempête. Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage Vous n'auriez pas tant à souffrir Je vous défendrais de l'orage. Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des Royaumes du vent La nature envers vous me semble bien injuste Votre compassion, lui répondit l'Arbuste Part d'un bon naturel, mais quittez ce souci. Les vents me sont moins qu'à vous redoutables Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots. Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs L'Arbre tient bon, le Roseau plie Le vent redouble ses efforts. Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au Ciel était voisine Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts. |
| | Posté le 04-05-2005 à 17:43:51
| Contre ceux qui ont le Goût Difficile! Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu'à ses Amants cette Muse a promis Je les consacrerais aux mensonges d'Esope Le mensonge et les vers de tout temps sont amis. Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions On peut donner du lustre à leurs inventions On le peut, je l'essaie ; un plus savant le fasse Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau. J'ai fait parler le Loup et répondre l'Agneau J'ai passé plus avant, les Arbres et les Plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes Qui ne prendrait ceci pour un enchantement? Vraiment, me diront nos Critiques. Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d'enfant Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d'un style plus haut? En voici, Les Troyens Après dix ans de guerre autour de leurs murailles. Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens Par mille assauts, par cent batailles N'avaient pu mettre à bout cette fière Cité Quand un cheval de bois, par Minerve inventé D'un rare et nouvel artifice. Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux Que ce Colosse monstrueux Avec leurs escadrons devait porter dans Troie Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes en proie. Stratagème inouï, qui des fabricateurs Paya la constance et la peine C'est assez, me dira quelqu'un de nos Auteurs La période est longue, il faut reprendre haleine Et puis votre Cheval de bois. Vos Héros avec leurs Phalanges Ce sont des contes plus étranges Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style Eh bien! baissons d'un ton, La jalouse Amarylle. Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins N'avoir que ses Moutons et son Chien pour témoins Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules Il entend la bergère adressant ces paroles Au doux Zéphire, et le priant. De les porter à son Amant Je vous arrête à cette rime Dira mon censeur à l'instant Je ne la tiens pas légitime Ni d'une assez grande vertu. Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte Maudit censeur, te tairas-tu? Ne saurais-je achever mon conte? C'est un dessein très dangereux Que d'entreprendre de te plaire. Les délicats sont malheureux Rien ne saurait les satisfaire. |
| | Posté le 05-05-2005 à 13:13:52
| Conseil tenu par les Rats! Un Chat, nommé Rodilardus Faisait des Rats telle déconfiture Que l'on n'en voyait presque plus Tant il en avait mis dedans la sépulture. Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou Ne trouvait à manger que le quart de son sou Et Rodilard passait, chez la gent misérable Non pour un Chat, mais pour un Diable Or un jour qu'au haut et au loin. Le galant alla chercher femme Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa Dame Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin Sur la nécessité présente Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente. Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard Attacher un grelot au cou de Rodilard Qu'ainsi, quand il irait en guerre De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre Qu'il n'y savait que ce moyen. Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen Chose ne leur parut à tous plus salutaire La difficulté fut d'attacher le grelot L'un dit, "Je n'y vas point, je ne suis pas si sot" L'autre, "Je ne saurais, "Si bien que sans rien faire. On se quitta. J'ai maints Chapitres vus Qui pour néant se sont ainsi tenus Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines Voire chapitres de Chanoines Ne faut-il que délibérer. La Courr en Conseillers foisonne Est-il besoin d'exécuter L'on ne rencontre plus personne. |
| | Posté le 09-05-2005 à 15:32:12
| Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe! Un Loup disait que l'on l'avait volé Un Renard, son voisin, d'assez mauvaise vie Pour ce prétendu vol par lui fut appelé Devant le Singe il fut plaidé. Non point par Avocats, mais par chaque Partie Thémis n'avait point travaillé De mémoire de Singe, à fait plus embrouillé Le Magistrat suait en son lit de Justice Après qu'on eut bien contesté. Répliqué, crié, tempêté Le Juge, instruit de leur malice Leur dit, Je vous connais de longtemps, mes amis Et tous deux vous paierez l'amende Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris. Et toi, Renard, as pris ce que l'on te demande Le juge prétendait qu'à tort et à travers On ne saurait manquer, condamnant un pervers Quelques personnes de bon sens ont cru que L'impossibilité et la contradiction qui est dans le. Jugement de ce Singe était une chose à censurer mais je ne m'en suis servi qu'après Phédre et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis. |
| | Posté le 11-05-2005 à 13:38:23
| Les Deux Taureaux et une Grenouille! Deux Taureaux combattaient à qui posséderait Une Génisse avec l'empire Une Grenouille en soupirait "Qu'avez-vous?"se mit à lui dire. Quelqu'un du peuple croassant Et ne voyez-vous pas, dit-elle Que la fin de cette querelle Sera l'exil de l'un ; que l'autre, le chassant Le fera renoncer aux campagnes fleuries? Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies Viendra dans nos marais régner sur les roseaux Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse Du combat qu'a causé Madame la Génisse. Cette crainte était de bon sens L'un des Taureaux en leur demeure S'alla cacher à leurs dépens Il en écrasait vingt par heure Hélas! on voit que de tout temps. Les petits ont pâti des sottises des grands. |
| | Posté le 16-05-2005 à 12:49:54
| La Chauve-Souris et les deux Belettes Une Chauve-Souris donna tête baissée Dans un nid de Belette et sitôt qu'elle y fut L'autre, envers les souris de longtemps courroucée Pour la dévorer accourut. Quoi? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire Après que votre race a tâché de me nuire! N'êtes-vous pas Souris? Parlez sans fiction Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas Belette. Pardonnez-moi, dit la pauvrette Ce n'est pas ma profession Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles. Grâce à l'Auteur de l'Univers Je suis Oiseau, voyez mes ailes Vive la gent qui fend les airs! Sa raison plut, et sembla bonne. Elle fait si bien qu'on lui donne Liberté de se retirer Deux jours après, notre étourdie Aveuglément se va fourrer Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie. La voilà derechef en danger de sa vie La Dame du logis avec son long museau S'en allait la croquer en qualité d'Oiseau Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas. Qui fait l'Oiseau? c'est le plumage Je suis Souris vivent les Rats! Jupiter confonde les Chats! Par cette adroite repartie Elle sauva deux fois sa vie. Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue Le Sage dit, selon les gens Vive le Roi, vive la Ligue. |
| | Posté le 20-05-2005 à 17:00:39
| L'Oiseau blessé d'une Flèche! Mortellement atteint d'une flèche empennée Un Oiseau déplorait sa triste destinée Et disait, en souffrant un surcroît de douleur Faut-il contribuer à son propre malheur! Cruels humains! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à l'autre. |
| | Posté le 29-05-2005 à 20:46:15
| La Lice et sa Compagne! Une Lice étant sur son terme Et ne sachant ou mettre un fardeau si pressant Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme. Au bout de quelque temps sa Compagne revient La Lice lui demande encore une quinzaine Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine Pour faire court, elle l'obtient Ce second terme échu, l'autre lui redemande. Sa maison, sa chambre, son lit La Lice cette fois montre les dents, et dit Je suis prête à sortir avec toute ma bande Si vous pouvez nous mettre hors. Ses enfants étaient déjà forts. Ce qu'on donne aux méchants toujours on le regrette Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête Il faut que l'on en vienne aux coups Il faut plaider, il faut combattre Laissez-leur prendre un pied chez vous Ils en auront bientôt pris quatre. |
| | Posté le 03-06-2005 à 08:28:32
| Le Lion et le Rat! Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde On a souvent besoin d'un plus petit que soi De cette vérité deux Fables feront foi Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie Le Roi des animaux, en cette occasion Montra ce qu'il était, et lui donna la vie Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un Lion d'un Rat eût affaire? Cependant il advint qu'au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. |
| | Posté le 15-06-2005 à 07:04:44
| La Colombe et la Fourmi! L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi. S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive La Colombe aussitôt usa de charité Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive Elle se sauve et là-dessus. Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête. La Fourmi le pique au talon Le Vilain retourne la tête La Colombe l'entend, part, et tire de long Le soupé du Croquant avec elle s'envole Point de Pigeon pour une obole. |
| | Posté le 17-06-2005 à 16:07:27
| L'Astrologue qui se laisse tomber dans un Puits! Un Astrologue un jour se laissa choir Au fond d'un puits. On lui dit, Pauvre bête Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir Penses-tu lire au-dessus de ta tête? Cette aventure en soi, sans aller plus avant Peut servir de leçon à la plupart des hommes Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d'entendre dire. Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté Qu'est-ce, que le Hasard parmi l'Antiquité Et parmi nous la Providence? Or du Hasard il n'est point de science. S'il en était, on aurait tort De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort Toutes choses très incertaines Quant aux volontés souveraines De Celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein. Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein? Aurait-il imprimé sur le front des étoiles Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles? A quelle utilité? Pour exercer l'esprit De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit? Pour nous faire éviter des maux inévitables? Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables? Et causant du dégoût pour ces biens prévenus Les convertir en maux devant qu'ils soient venus ? C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire. Le Firmament se meut, les Astres font leur cours Le Soleil nous luit tous les jours Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire Sans que nous en puissions autre chose inférer Que la nécessité de luire et d'éclairer. D'amener les saisons, de mûrir les semences De verser sur les corps certaines influences Du reste, en quoi répond au sort toujours divers Ce train toujours égal dont marche l'Univers? Charlatans, faiseurs d'horoscope Quittez les cours des Princes de l'Europe Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire De ce Spéculateur qui fut contraint de boire. Outre la vanité de son art mensonger C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères Cependant qu'ils sont en danger Soit pour eux, soit pour leurs affaires. |
| | Posté le 30-06-2005 à 05:50:45
| Le Lièvre et les Grenouilles! Un Lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?) Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait Cet animal est triste, et la crainte le ronge. Les gens de naturel peureux Sont, disait-il, bien malheureux Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers Voilà comme je vis, cette crainte maudite. M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle Et la peur se corrige-t-elle? Je crois même qu'en bonne foi Les hommes ont peur comme moi. Ainsi raisonnait notre Lièvre Et cependant faisait le guet Il était douteux, inquiet Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre Le mélancolique animal. En rêvant à cette matière Entend un léger bruit, ce lui fut un signal Pour s'enfuir devers sa tanière Il s'en alla passer sur le bord d'un étang Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes. Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes Oh! dit-il, j'en fais faire autant Qu'on m'en fait faire! Ma présence Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp! Et d'où me vient cette vaillance? Comment? Des animaux qui tremblent devant moi! Je suis donc un foudre de guerre! Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. |
| | Posté le 06-07-2005 à 03:27:44
| Le Coq et le Renard Sur la branche d'un arbre était en sentinelle Un vieux Coq adroit et matois Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix Nous ne sommes plus en querelle. Paix générale cette fois Je viens te l'annoncer, descends, que je t'embrasse Ne me retarde point, de grâce Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer Les tiens et toi pouvez vaquer. Sans nulle crainte à vos affaires Nous vous y servirons en frères Faites-en les feux dès ce soir Et cependant viens recevoir Le baiser d'amour fraternelle. Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais Apprendre une plus douce et meilleur nouvelle Que celle De cette paix Et ce m'est une double joie. De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers Qui, je m'assure, sont courriers Que pour ce sujet on envoie Ils vont vite, et seront dans un moment à nous Je descends, nous pourrons nous entre-baiser tous. Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire Nous nous réjouirons du succès de l'affaire Une autre fois. Le galand aussitôt Tire ses grègues, gagne au haut Mal content de son stratagème. Et notre vieux Coq en soi-même Se mit à rire de sa peur Car c'est double plaisir de tromper le trompeur. |
| | Posté le 07-07-2005 à 16:12:56
| Le Corbeau voulant Imiter l'Aigle! L'Oiseau de Jupiter enlevant un mouton Un Corbeau témoin de l'affaire Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton En voulut sur l'heure autant faire. Il tourne à l'entour du troupeau Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau Un vrai Mouton de sacrifice On l'avait réservé pour la bouche des Dieux Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux. Je ne sais qui fut ta nourrice Mais ton corps me paraît en merveilleux état Tu me serviras de pâture Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat La Moutonnière créature. Pesait plus qu'un fromage, outre que sa toison Etait d'une épaisseur extrême Et mêlée à peu près de la même façon Que la barbe de Polyphème Elle empêtra si bien les serres du Corbeau. Que le pauvre animal ne put faire retraite Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau Le donne à ses enfants pour servir d'amusette Il faut se mesurer, la conséquence est nette Mal prend aux Volereaux de faire les Voleurs. L'exemple est un dangereux leurre Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure. |
| | Posté le 08-07-2005 à 16:16:17
| Le Paon se plaignant à Junon Le Paon se plaignait à Junon Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison Que je me plains, que je murmure Le chant dont vous m'avez fait don. Déplaît à toute la Nature Au lieu qu'un Rossignol, chétive créature Forme des sons aussi doux qu'éclatants Est lui seul l'honneur du Printemps Junon répondit en colère. Oiseau jaloux, et qui devrais te taire Est-ce à toi d'envier la voix du Rossignol Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies Qui te panades, qui déploies. Une si riche queue, et qui semble à nos yeux La Boutique d'un Lapidaire? Est-il quelque oiseau sous les Cieux Plus que toi capable de plaire? Tout animal n'a pas toutes propriétés. Nous vous avons donné diverses qualités Les uns ont la grandeur et la force en partage Le Faucon est léger, l'Aigle plein de courage Le Corbeau sert pour le présage La Corneille avertit des malheurs à venir. Tous sont contents de leur ramage Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir Je t'ôterai ton plumage. |
| | Posté le 12-07-2005 à 00:58:08
| La Chatte Métamorphosée en Femme! Un homme chérissait éperdument sa Chatte Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate Qui miaulait d'un ton fort doux Il était plus fou que les fous. Cet Homme donc, par prières, par larmes Par sortilèges et par charmes Fait tant qu'il obtient du destin Que sa Chatte en un beau matin Devient femme, et le matin même. Maître sot en fait sa moitié Le voilà fou d'amour extrême De fou qu'il était d'amitié Jamais la Dame la plus belle Ne charma tant son Favori. Que fait cette épouse nouvelle Son hypocondre de mari Il l'amadoue, elle le flatte Il n'y trouve plus rien de Chatte Et poussant l'erreur jusqu'au bout. La croit femme en tout et partout Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés Aussitôt la femme est sur pieds Elle manqua son aventure. Souris de revenir, femme d'être en posture Pour cette fois elle accourut à point Car ayant changé de figure Les souris ne la craignaient point Ce lui fut toujours une amorce. Tant le naturel a de force Il se moque de tout, certain âge accompli Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli En vain de son train ordinaire On le veut désaccoutumer. Quelque chose qu'on puisse faire On ne saurait le réformer Coups de fourche ni d'étrivières Ne lui font changer de manières Et, fussiez-vous embâtonnés. Jamais vous n'en serez les maîtres Qu'on lui ferme la porte au nez Il reviendra par les fenêtres. |
| | Posté le 13-07-2005 à 01:12:08
| Le Lion et l'Âne Chassant! Le Roi des animaux se mit un jour en tête De giboyer Il célébrait sa fête Le gibier du Lion, ce ne sont pas moineaux Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire Il se servit du ministère De l'Âne à la voix de Stentor L'Âne à Messer Lion fit office de Cor Le Lion le posta, le couvrit de ramée. Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son Les moins intimidés fuiraient de leur maison Leur troupe n'était pas encore accoutumée A la tempête de sa voix L'air en retentissait d'un bruit épouvantable. La frayeur saisissait les hôtes de ces bois Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable Où les attendait le Lion N'ai-je pas bien servi dans cette occasion? Dit l'Âne, en se donnant tout l'honneur de la chasse. Oui, reprit le Lion, c'est bravement crié Si je connaissais ta personne et ta race J'en serais moi-même effrayé L'Âne, s'il eût osé, se fût mis en colère Encore qu'on le raillât avec juste raison. Car qui pourrait souffrir un Âne fanfaron? Ce n'est pas là leur caractère. |
| | Posté le 27-07-2005 à 04:56:09
| Le Loup et la Cigogne! Les Loups mangent gloutonnement Un Loup donc étant de frairie Se pressa, dit-on, tellement Qu'il en pensa perdre la vie. Un os lui demeura bien avant au gosier De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier, Près de là passe une Cigogne Il lui fait signe, elle accourt Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne. Elle retira l'os, puis, pour un si bon tour Elle demanda son salaire Votre salaire ? dit le Loup Vous riez, ma bonne commère! Quoi? ce n'est pas encor beaucoup. D'avoir de mon gosier retiré votre cou? Allez, vous êtes une ingrate Ne tombez jamais sous ma patte. |
| | Posté le 11-08-2005 à 07:12:29
| Le Lion abattu par l'Homme On exposait une peinture Où l'artisan avait tracé Un Lion d'immense stature Par un seul homme terrassé Les regardants en tiraient gloire Un Lion en passant rabattit leur caquet Je vois bien, dit-il, qu'en effet On vous donne ici la victoire Mais l'Ouvrier vous a déçus Il avait liberté de feindre Avec plus de raison nous aurions le dessus Si mes confrères savaient peindre. |
| | Posté le 17-08-2005 à 16:21:49
| Le Renard et les Raisins Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des Raisins mûrs apparemment Et couverts d'une peau vermeille. Le galand en eût fait volontiers un repas Mais comme il n'y pouvait atteindre Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. Fit-il pas mieux que de se plaindre? |
| | Posté le 19-08-2005 à 13:32:16
| Le Cygne et le Cuisinier! Dans une ménagerie De volatiles remplie Vivaient le Cygne et l'Oison Celui-là destiné pour les regards du maître. Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être Commensal du jardin, l'autre, de la maison Des fossés du Château faisant leurs galeries Tantôt on les eût vus côte à côte nager Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger. Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup Prit pour Oison le Cygne ; et le tenant au cou Il allait l'égorger, puis le mettre en potage L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage. Le Cuisinier fut fort surpris Et vit bien qu'il s'était mépris "Quoi? je mettrois, dit-il un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe. La gorge à qui s'en sert si bien! Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe Le doux parler ne nuit de rien. |
| | Posté le 22-08-2005 à 15:08:31
| Les Loups et les Brebis Après mille ans et plus de guerre déclarée Les Loups firent la paix avecque les Brebis C'était apparemment le bien des deux partis Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée. Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits Jamais de liberté, ni pour les pâturages Ni d'autre part pour les carnages Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens La paix se conclut donc : on donne des otages. Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis, leurs Chiens. L'échange en étant fait aux formes ordinaires Et réglé par des Commissaires Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats. Se virent Loups parfaits et friands de tuerie lls vous prennent le temps que dans la Bergerie Messieurs les Bergers n'étaient pas Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avaient averti leurs gens secrètement Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement Furent étranglés en dormant Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa. Nous pouvons conclure de là Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle La paix est fort bonne de soi J'en conviens, mais de quoi sert-elle Avec des ennemis sans foi? |
| | Posté le 03-09-2005 à 03:54:24
| Le Lion devenu Vieux! Le Lion, terreur des forêts Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse Fut enfin attaqué par ses propres sujets Devenus forts par sa faiblesse. Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne Peut a peine rugir, par l'âge estropié Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes Quand voyant l'Ane même à son antre accourir Ah! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes. |
| | Posté le 04-10-2005 à 15:03:01
| Philomèle et Progné Autrefois Progné l'hirondelle De sa demeure s'écarta Et loin des Villes s'emporta Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle. Ma soeur, lui dit Progné, comment vous portez-vous? Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue Je ne me souviens point que vous soyez venue Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous Dites-moi, que pensez-vous faire? Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire? Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux? Progné lui repartit, Eh quoi? cette musique Pour ne chanter qu'aux animaux Tout au plus à quelque rustique? Le désert est-il fait pour des talents si beaux? Venez faire aux cités éclater leurs merveilles Aussi bien, en voyant les bois Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois Parmi des demeures pareilles Exerça sa fureur sur vos divins appas Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage Qui fait, reprit sa soeur, que je ne vous suis pas En voyant les hommes, hélas! Il m'en souvient bien davantage. |
| | Posté le 17-11-2005 à 22:34:56
| Le Loup et la Cigogne Les Loups mangent gloutonnement Un Loup donc étant de frairie Se pressa, dit-on, tellement Qu'il en pensa perdre la vie Un os lui demeura bien avant au gosier De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier Près de là passe une Cigogne Il lui fait signe, elle accourt Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne Elle retira l'os, puis, pour un si bon tour Elle demanda son salaire Votre salaire? dit le Loup Vous riez, ma bonne commère! Quoi? ce n'est pas encor beaucoup D'avoir de mon gosier retiré votre cou? Allez, vous êtes une ingrate Ne tombez jamais sous ma patte |
| | Posté le 06-01-2006 à 03:25:25
| La Femme Noyée Je ne suis pas de ceux qui disent , Ce n'est Rien C'est une femme qui se noie Je dis que c'est beaucoup et ce sexe vaut bien Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie. Ce que j'avance ici n'est point hors de propos Puisqu'il s'agit en cette Fable D'une femme qui dans les flots Avait fini ses jours par un sort déplorable Son Epoux en cherchait le corps. Pour lui rendre, en cette aventure Les honneurs de la sépulture Il arriva que sur les bords Du fleuve auteur de sa disgrâce Des gens se promenaient ignorants l'accident. Ce mari donc leur demandant S'ils n'avaient de sa femme aperçu nulle trace Nulle, reprit l'un d'eux mais cherchez-la plus bas Suivez le fil de la rivière Un autre repartit, Non, ne le suivez pas. Rebroussez plutôt en arrière Quelle que soit la pente et l'inclination Dont l'eau par sa course l'emporte L'esprit de contradiction L'aura fait flotter d'autre sorte. Cet homme se raillait assez hors de saison Quant à l'humeur contredisante Je ne sais s'il avait raison Mais que cette humeur soit ou non Le défaut du sexe et sa pente. Quiconque avec elle naîtra Sans faute avec elle mourra Et jusqu'au bout contredira Et, s'il peut, encor par-delà. |
| | Posté le 13-06-2006 à 16:19:34
| Le Curé et le Mort! Un mort s'en allait tristement S'emparer de son dernier gîte Un Curé s'en allait gaiement Enterrer ce mort au plus vite. Notre défunt était en carrosse porté Bien et dûment empaqueté Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière Robe d'hiver, robe d'été Que les morts ne dépouillent guère. Le Pasteur était à côté Et récitait à l'ordinaire Maintes dévotes oraisons Et des psaumes et des leçons Et des versets et des répons Monsieur le Mort, laissez-nous faire On vous en donnera de toutes les façons Il ne s'agit que du salaire. Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor Et des regards semblait lui dire Monsieur le Mort, j'aurai de vous Tant en argent, et tant en cire Et tant en autres menus coûts. Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette Du meilleur vin des environs Certaine nièce assez propette Et sa chambrière Pâquette Devaient voir des cotillons Sur cette agréable pensée. Un heurt survient, adieu le char Voilà Messire Jean Chouart Qui du choc de son mort a la tête cassée Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur Notre Curé suit son Seigneur. Tous deux s'en vont de compagnie Proprement toute notre vie Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait Et la fable du Pot au lait. |
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