Sujet :

Fable De La Fontaine!

idem
   Posté le 22-02-2005 à 03:35:04   

Ivrogne et sa Femme!


Chacun a son défaut où toujours il revient
Honte ni peur n'y remédie
Sur ce propos, d'un conte il me souvient
Je ne dis rien que je n'appuie


De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci plein du jus de la treille

Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau
Là les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps

Un luminaire, un drap des morts
Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton
Vient au prétendu mort, approche de sa bière

Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer
L'Epoux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer
Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme

La cellerière du royaume
De Satan, reprit-elle, et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire
Le Mari repart sans songer
Tu ne leur portes point à boire?

idem
   Posté le 23-02-2005 à 00:43:30   

L'Aigle, la Laie, et la Chatte!



L'Aigle avait ses petits au haut d'un arbre creux
La Laie au pied, la Chatte entre les deux
Et sans s'incommoder, moyennant ce partage
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage
La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord
Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit: Notre mort
(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères)
Ne tardera possible guères
Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment.



Cette maudite Laie, et creuser une mine?
C'est pour déraciner le chêne assurément
Et de nos nourrissons attirer la ruine
L'arbre tombant, ils seront dévorés:
Qu'ils s'en tiennent pour assurés.



S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte
La perfide descend tout droit
A l'endroit
Où la Laie était en gésine.


Ma bonne amie et ma voisine
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis
L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits:
Obligez-moi de n'en rien dire:
Son courroux tomberait sur moi.


Dans cette autre famille ayant semé l'effroi
La Chatte en son trou se retire
L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses petits ; la Laie encore moins:
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins.


Ce doit être celui d'éviter la famine
A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine
Pour secourir les siens dedans l'occasion:
L'Oiseau Royal, en cas de mine
La Laie, en cas d'irruption.


La faim détruisit tout: il ne resta personne
De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne
Qui n'allât de vie à trépas:
Grand renfort pour Messieurs les Chats
Que ne sait point ourdir une langue traîtresse.


Par sa pernicieuse adresse?
Des malheurs qui sont sortis
De la boîte de Pandore
Celui qu'à meilleur droit tout l'Univers abhorre
C'est la fourbe, à mon avis.

idem
   Posté le 24-02-2005 à 00:42:09   

Le Renard et le Bouc!




Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez
L'autre était passé maître en fait de tromperie

La soif les obligea de descendre en un puits
Là chacun d'eux se désaltère
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.

Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement
Puis sur tes cornes m'élevant
A l'aide de cette machine.

De ce lieu-ci je sortirai
Après quoi je t'en tirerai
Par ma barbe, dit l'autre, il est bon et je loue
Les gens bien sensés comme toi
Je n'aurais jamais, quant à moi.

Trouvé ce secret, je l'avoue
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience
Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence.

Autant de jugement que de barbe au menton
Tu n'aurais pas, à la légère
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts
Car pour moi, j'ai certaine affaire.

Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin
En toute chose il faut considérer la fin.

idem
   Posté le 25-02-2005 à 20:25:13   

La Femme Noyée!




Je ne suis pas de ceux qui disent
Ce n'est rien
C'est une femme qui se noie
Je dis que c'est beaucoupet ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.

Ce que j'avance ici n'est point hors de propos
Puisqu'il s'agit en cette Fable,
D'une femme qui dans les flots
Avait fini ses jours par un sort déplorable
Son Epoux en cherchait le corps

Pour lui rendre, en cette aventure
Les honneurs de la sépulture
Il arriva que sur les bords
Du fleuve auteur de sa disgrâce
Des gens se promenaient ignorants l'accident.

Ce mari donc leur demandant
S'ils n'avaient de sa femme aperçu nulle trace
Nulle, reprit l'un d'eux, mais cherchez-la plus bas
Suivez le fil de la rivière
Un autre repartit, Non, ne le suivez pas

Rebroussez plutôt en arrière
Quelle que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte
L'esprit de contradiction
L'aura fait flotter d'autre sorte.

Cet homme se raillait assez hors de saison
Quant à l'humeur contredisante
Je ne sais s'il avait raison
Mais que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente


Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra
Et jusqu'au bout contredira
Et, s'il peut, encor par-delà.

idem
   Posté le 27-02-2005 à 12:19:50   

Les Grenouilles qui demandent un Roi!



De l'état Démocratique
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique

Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse
S'alla cacher sous les eaux
Dans les joncs, dans les roseaux


Dans les trous du marécage
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau
Or c'était un Soliveau
De qui la gravité fit peur à la première


Qui de le voir s'aventurant
Osa bien quitter sa tanière
Elle approcha, mais en tremblant
Une autre la suivit, une autre en fit autant
Il en vint une fourmilière


Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi
Jupin en a bientôt la cervelle rompue
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.


Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue
Qui les croque, qui les tue
Qui les gobe à son plaisir
Et Grenouilles de se plaindre
Et Jupin de leur dire: Eh quoi! votre désir.


A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement
Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux.

De celui-ci contentez-vous
De peur d'en rencontrer un pire.

idem
   Posté le 28-02-2005 à 02:51:20   

Le Loup devenu Berger!




Un Loup qui commençait d'avoir petite part
Aux Brebis de son voisinage
Crut qu'il fallait s'aider de la peau du Renard
Et faire un nouveau personnage


Il s'habille en Berger, endosse un hoqueton
Fait sa houlette d'un bâton
Sans oublier la Cornemuse
Pour pousser jusqu'au bout la ruse
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau


C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau
Sa personne étant ainsi faite
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette
Guillot le sycophante approche doucement
Guillot le vrai Guillot étendu sur l'herbette


Dormait alors profondément
Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette
La plupart des Brebis dormaient pareillement
L'hypocrite les laissa faire
Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis


Il voulut ajouter la parole aux habits
Chose qu'il croyait nécessaire
Mais cela gâta son affaire
Il ne put du Pasteur contrefaire la voix
Le ton dont il parla fit retentir les bois


Et découvrit tout le mystère
Chacun se réveille à ce son
Les Brebis, le Chien, le Garçon
Le pauvre Loup, dans cet esclandre
Empêché par son hoqueton


Ne put ni fuir ni se défendre
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre
Quiconque est Loup agisse en Loup
C'est le plus certain de beaucoup.

idem
   Posté le 01-03-2005 à 03:33:54   

Le Loup et la Cigogne!




Les Loups mangent gloutonnement
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie.


Un os lui demeura bien avant au gosier
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier
Près de là passe une Cigogne
Il lui fait signe elle accourt
Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne.


Elle retira l'os, puis pour un si bon tour
Elle demanda son salaire
Votre salaire? dit le Loup
Vous riez, ma bonne commère!
Quoi? ce n'est pas encor beaucoup.


D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate
Ne tombez jamais sous ma patte.


idem
   Posté le 02-03-2005 à 03:53:35   

Le Chat et un Vieux Rat





J'ai lu chez un conteur de Fables
Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des Chats
L'Attila, le fléau des Rats
Rendait ces derniers misérables.

J'ai lu, dis-je, en certain Auteur
Que ce Chat exterminateur
Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde
Il voulait de Souris dépeupler tout le monde
Les planches qu'on suspend sur un léger appui.

La mort aux Rats, les Souricières
N'étaient que jeux au prix de lui
Comme il voit que dans leurs tanières
Les Souris étaient prisonnières
Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher.

Le galant fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate
A de certains cordons se tenait par la patte
Le peuple des Souris croit que c'est châtiment
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage.

Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement
Toutes, dis-je, unanimement
Se promettent de rire à son enterrement
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête.

Puis rentrent dans leurs nids à rats
Puis ressortant font quatre pas
Puis enfin se mettent en quête
Mais voici bien une autre fête
Le pendu ressuscite et sur ses pieds tombant.

Attrape les plus paresseuses
Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant
C'est tour de vieille guerre et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis
Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétisait vrai notre maître Mitis
Pour la seconde fois les trompe et les affine
Blanchit sa robe et s'enfarine
Et de la sorte déguisé
Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé
La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte
Un Rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour
Même il avait perdu sa queue à la bataille.

Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille
S'écria-t-il de loin au Général des Chats
Je soupçonne dessous encor quelque machine
Rien ne te sert d'être farine
Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas.

C'était bien dit à lui, j'approuve sa prudence
Il était expérimenté
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.

idem
   Posté le 03-03-2005 à 02:44:27   

La Belette entrée dans un Grenier!


Damoiselle Belette, au corps long et flouet
Entra dans un Grenier par un trou fort étroit
Elle sortait de maladie
Là, vivant à discrétion


La galante fit chère lie
Mangea, rongea, Dieu sait la vie
Et le lard qui périt en cette occasion!
La voilà, pour conclusion
Grasse, mafflue et rebondie.


Au bout de la semaine, ayant dîné son soû
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise
Après avoir fait quelques tours
C'est, dit-elle, l'endroit, me voilà bien surprise.


J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours
Un Rat, qui la voyait en peine
Lui dit: Vous aviez lors la panse un peu moins pleine
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres.


Mais ne confondons point, par trop approfondir
Leurs affaires avec les vôtres.


idem
   Posté le 07-03-2005 à 13:44:28   

Le Lion Abattu par L'homme!



On exposait une peinture
Où l'artisan avait tracé
Un Lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.


Les regardants en tiraient gloire
Un Lion en passant rabattit leur caquet
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire
Mais l'Ouvrier vous a déçus.


Il avait liberté de feindre
Avec plus de raison nous aurions le dessus
Si mes confrères savaient peindre.

idem
   Posté le 08-03-2005 à 13:19:36   

Le Lion devenu Vieux!



Le Lion, terreur des forêts

Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse

Fut enfin attaqué par ses propres sujets

Devenus forts par sa faiblesse.


Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied

Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne

Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne

Peut a peine rugir, par l'âge estropié

Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes.


Quand voyant l'Ane même à son antre accourir

Ah! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir

Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

idem
   Posté le 09-03-2005 à 15:25:26   

Philomèle et Progné!


Autrefois Progné l'hirondelle
De sa demeure s'écarta
Et loin des Villes s'emporta
Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.


Ma soeur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue
Je ne me souviens point que vous soyez venue
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous
Dites-moi, que pensez-vous faire?


Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit: Eh quoi ? cette musique
Pour ne chanter qu'aux animaux
Tout au plus à quelque rustique?


Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles
Aussi bien, en voyant les bois
Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois
Parmi des demeures pareilles.


Exerça sa fureur sur vos divins appas
Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa soeur, que je ne vous suis pas
En voyant les hommes, hélas!
Il m'en souvient bien davantage.

idem
   Posté le 10-03-2005 à 15:07:24   

Le Renard et les Raisins!



Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand
Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille
Des Raisins mûrs apparemment
Et couverts d'une peau vermeille.


Le galand en eût fait volontiers un repas
Mais comme il n'y pouvait atteindre
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats
Fit-il pas mieux que de se plaindre?

idem
   Posté le 12-03-2005 à 15:28:14   

La Goutte et l'Araignée!



Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.


Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter
Voyez-vous ces cases étrètes
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites
Tenez donc, voici deux bûchettes.


Accommodez-vous, ou tirez
Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise
L'autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins
De ces gens nommés Médecins
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.


Elle prend l'autre lot, y plante le piquet
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme
Disant: Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme.


L'Aragne cependant se campe en un lambris
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie
Travaille à demeurer, voilà sa toile ourdie
Voilà des moucherons de pris
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.


Autre toile tissue, autre coup de balai
Le pauvre Bestion tous les jours déménage
Enfin, après un vain essai
Il va trouver la Goutte
Elle était en campagne
Plus malheureuse mille fois.


Que la plus malheureuse Aragne
Son hôte la menait tantôt fendre du bois
Tantôt fouir, houer
Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée
Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.


Changeons, ma soeur l'Aragné
Et l'autre d'écouter
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane
Point de coup de balai qui l'oblige à changer
La Goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat, qu'elle condamne.


A jamais du lit ne bouger
Cataplasmes, Dieu sait
Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte
Et fit très sagement de changer de logis.

idem
   Posté le 14-03-2005 à 02:50:38   

Le Cygne et le Cuisinier!


Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivaient le Cygne et l'Oison
Celui-là destiné pour les regards du maître.

Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être
Commensal du jardin, l'autre, de la maison
Des fossés du Château faisant leurs galeries
Tantôt on les eût vus côte à côte nager
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger.


Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies
Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup
Prit pour Oison le Cygne ; et le tenant au cou
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage
L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.

Le Cuisinier fut fort surpris
Et vit bien qu'il s'était mépris
Quoi? Je mettrois, dit-il un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main
coupe.

La gorge à qui s'en sert si bien!

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.

idem
   Posté le 15-03-2005 à 12:51:29   

Les Loups et les Brebis!



Après mille ans et plus de guerre déclarée
Les Loups firent la paix avecque les Brebis
C'était apparemment le bien des deux partis
Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée.


Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits
Jamais de liberté, ni pour les pâturages
Ni d'autre part pour les carnages
Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens
La paix se conclut donc, on donne des otages.


Les Loups, leurs Louveteaux et les Brebis, leurs
Chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires
Et réglé par des Commissaires
Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats.


Se virent Loups parfaits et friands de tuerie
lls vous prennent le temps que dans la Bergerie
Messieurs les Bergers n'étaient pas
Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.


Ils avaient averti leurs gens secrètement
Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement
Furent étranglés en dormant
Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent
Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.


Nous pouvons conclure de là
Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle
La paix est fort bonne de soi
J'en conviens, mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

idem
   Posté le 16-03-2005 à 14:02:38   

Le Meunier, son Fils, et l'Ane!



L'invention des Arts étant un droit d'aînesse
Nous devons l'Apologue à l'ancienne Grèce
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.


La feinte est un pays plein de terres désertes
Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté
Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa Lyre.


Disciples d'Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins)
Racan commence ainsi, Dites-moi, je vous prie
Vous qui devez savoir les choses de la vie.


Qui par tous ses degrés avez déjà passé
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé
A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance
Dois-je dans la Province établir mon séjour.


Prendre emploi dans l'Armée, ou bien charge à la Cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes
La guerre a ses douceurs, l'Hymen a ses alarmes
Si je suivais mon goût, je saurais où buter
Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter.


Malherbe là-dessus, Contenter tout le monde!
Ecoutez ce récit avant que je réponde.


J'ai lu dans quelque endroit qu'un Meunier et son fils
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire.


Allaient vendre leur Ane, un certain jour de foire
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit
On lui lia les pieds, on vous le suspendit
Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre
Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre.


Le premier qui les vit de rire s'éclata
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense
Le Meunier à ces mots connaît son ignorance
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.


L'Ane, qui goûtait fort l'autre façon d'aller
Se plaint en son patois. Le Meunier n'en a cure
Il fait monter son fils, il suit, et d'aventure
Passent trois bons Marchands. Cet objet leur déplut
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put.


Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise
Jeune homme, qui menez Laquais à barbe grise
C'était à vous de suivre, au vieillard de monter
Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte.


Quand trois filles passant, l'une dit: C'est grand'honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils
Tandis que ce nigaud, comme un Evêque assis
Fait le veau sur son Ane, et pense être bien sage
Il n'est, dit le Meunier, plus de Veaux à mon âge.


Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés
L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous.


Le Baudet n'en peut plus, il mourra sous leurs coups
Hé quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique!
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?
Sans doute qu'à la Foire ils vont vendre sa peau
Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau.


Qui prétend contenter tout le monde et son père
Essayons toutefois, si par quelque manière
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux
L'Ane, se prélassant, marche seul devant eux
Un quidam les rencontre, et dit: Est-ce la mode.


Que Baudet aille à l'aise, et Meunier s'incommode?
Qui de l'âne ou du maître est fais pour se lasser?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser
Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane
Nicolas au rebours, car, quand il va voir Jeanne.


Il monte sur sa bête et la chanson le dit
Beau trio de Baudets ! Le Meunier repartit
Je suis Ane, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue
Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien.


J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince
Allez, venez, courez demeurez en Province
Prenez femme, Abbaye, Emploi, Gouvernement
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.


idem
   Posté le 17-03-2005 à 00:37:05   

La Cigale et la Fourmi!


La Cigale, ayant chanté
Tout l'été
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.

Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine
La priant de lui prêter.

Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle
Je vous paierai, lui dit-elle
Avant l'Oût, foi d'animal
Intérêt et principal.

La Fourmi n'est pas prêteuse
C'est là son moindre défaut
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse
Nuit et jour à tout venant.

Je chantais, ne vous déplaise
Vous chantiez? j'en suis fort aise
Eh bien! dansez maintenant.

idem
   Posté le 18-03-2005 à 13:34:09   

Le Corbeau et le Renard!


Maître Corbeau, sur un arbre perché
Tenait en son bec un fromage
Maître Renard, par l'odeur alléché
Lui tint à peu près ce langage.


Hé! bonjour, Monsieur du Corbeau
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.


A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie
Et pour montrer sa belle voix
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie
Le Renard s'en saisit, et dit: Mon bon Monsieur
Apprenez que tout flatteur.


Vit aux dépens de celui qui l'écoute
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute
Le Corbeau, honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.


idem
   Posté le 21-03-2005 à 00:43:41   

La Grenouille qui veut se faire aussi Grosse que le Boeuf!


Une Grenouille vit un Boeuf

Qui lui sembla de belle taille

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf

Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille

Pour égaler l'animal en grosseur.


Disant "Regardez bien, ma soeur

Est-ce assez? dites-moi, n'y suis-je point encore?

Nenni- M'y voici donc? Point du tout, M'y voilà?

Vous n'en approchez point. La chétive pécore

S'enfla si bien qu'elle creva.


Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages

Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs

Tout petit prince a des ambassadeurs

Tout marquis veut avoir des pages.

idem
   Posté le 22-03-2005 à 12:54:59   

Les Deux Mulets!



Deux Mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé
L'autre portant l'argent de la Gabelle
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.


Il marchait d'un pas relevé
Et faisait sonner sa sonnette
Quand l'ennemi se présentant
Comme il en voulait à l'argent
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette.


Le saisit au frein et l'arrête
Le Mulet, en se défendant
Se sent percer de coups: il gémit, il soupire
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire.


Et moi j'y tombe, et je péris
Ami, lui dit son camarade
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut Emploi
Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi
Tu ne serais pas si malade.

idem
   Posté le 23-03-2005 à 13:06:21   

Le Loup et le Chien!



Un Loup n'avait que les os et la peau
Tant les chiens faisaient bonne garde
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.


L'attaquer, le mettre en quartiers
Sire Loup l'eût fait volontiers
Mais il fallait livrer bataille
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.


Le Loup donc l'aborde humblement
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.


Quittez les bois, vous ferez bien
Vos pareils y sont misérables
Cancres, haires, et pauvres diables
Dont la condition est de mourir de faim
Car quoi? rien d'assuré, point de franche lippée.

Tout à la pointe de l'épée
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin
Le Loup reprit, Que me faudra-t-il faire?
Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants.


Flatter ceux du logis, à son Maître complaire
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons
Os de poulets, os de pigeons
Sans parler de mainte caresse.

Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé
Qu'est-ce là? lui dit-il. Rien, Quoi? rien? Peu de chose
Mais encore? Le collier dont je suis attaché.


De ce que vous voyez est peut-être la cause
Attaché? dit le Loup, vous ne courez donc pas
Où vous voulez? Pas toujours mais qu'importe?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte.


Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore.


idem
   Posté le 24-03-2005 à 16:58:40   

La Besace!


Jupiter dit un jour: Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire
Il peut le déclarer sans peur.


Je mettrai remède à la chose
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres
Etes-vous satisfait? - Moi? dit-il, pourquoi non?


N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché
Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre
L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.


Tant s'en faut de sa forme il se loua très fort
Glosa sur l'Eléphant, dit qu'on pourrait encore
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles
Que c'était une masse informe et sans beauté
L'Eléphant étant écouté.


Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles
Il jugea qu'à son appétit
Dame Baleine était trop grosse
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit
Se croyant, pour elle, un colosse.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous
Du reste, contents d'eux mais parmi les plus fous
Notre espèce excella car tout ce que nous sommes
Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.


On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.


idem
   Posté le 28-03-2005 à 07:23:44   

L'Hirondelle et les petits Oiseaux!




Une Hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris
Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.


Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages
Et devant qu'ils fussent éclos
Les annonçait aux Matelots
Il arriva qu'au temps que le chanvre se sème
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.


Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons
Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin.


Que ce qu'elle répand sera votre ruine
De là naîtront engins à vous envelopper
Et lacets pour vous attraper
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison.


Votre mort ou votre prison
Gare la cage ou le chaudron!
C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle
Mangez ce grain; et croyez-moi
Les Oiseaux se moquèrent d'elle.


Ils trouvaient aux champs trop de quoi
Quand la chènevière fut verte
L'Hirondelle leur dit, Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain
Ou soyez sûrs de votre perte.


Prophète de malheur, babillarde, dit-on
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton
La chanvre étant tout à fait crue.


L'Hirondelle ajouta, ceci ne va pas bien
Mauvaise graine est tôt venue
Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés.


Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits Oiseaux
Ne volez plus de place en place.


Demeurez au logis, ou changez de climat
Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse
Mais vous n'êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes
Ni d'aller chercher d'autres mondes.


C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur
Les Oisillons, las de l'entendre
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre.


Ouvrait la bouche seulement
Il en prit aux uns comme aux autres
Maint oisillon se vit esclave retenu
Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres
Et ne croyons le mal que quand il est venu.




idem
   Posté le 29-03-2005 à 06:22:49   

Le Rat de Ville et le Rat des Champs!



Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs
D'une façon fort civile
A des reliefs d'Ortolans.

Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis
Le régal fut fort honnête.


Rien ne manquait au festin
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit.


Le Rat de ville détale
Son camarade le suit
Le bruit cesse, on se retire
Rats en campagne aussitôt
Et le citadin de dire.


Achevons tout notre rôt
C'est assez, dit le rustique
Demain vous viendrez chez moi
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi.


Mais rien ne vient m'interrompre
Je mange tout à loisir
Adieu donc fit du plaisir
Que la crainte peut corrompre.

idem
   Posté le 01-04-2005 à 14:58:11   

Le Loup et l'Agneau!



La raison du plus fort est toujours la meilleure
Nous l'allons montrer tout à l'heure
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.

Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure
Et que la faim en ces lieux attirait
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage
Tu seras châtié de ta témérité.


Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant.


Plus de vingt pas au-dessous d'Elle
Et que par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.


Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère
Je n'en ai point, c'est donc quelqu'un des tiens
Car vous ne m'épargnez guère.


Vous, vos bergers, et vos chiens
On me l'a dit, il faut que je me venge
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès.

idem
   Posté le 05-04-2005 à 14:10:53   

L'Homme et son Image!



Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde
Il accusait toujours les miroirs d'être faux
Vivant plus que content dans son erreur profonde.

Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands
Miroirs aux poches des galands
Miroirs aux ceintures des femmes.


Que fait notre Narcisse ? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure
Mais un canal, formé par une source pure.


Se trouve en ces lieux écartés
Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau
Mais quoi, le canal est si beau.


Qu'il ne le quitte qu'avec peine
On voit bien où je veux venir
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir
Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même.


Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui
Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes
Et quant au Canal, c'est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes.


idem
   Posté le 06-04-2005 à 14:23:33   

Le Dragon à plusieurs Têtes et le Dragon à plusieurs Queues!



Un Envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l'Histoire, un jour chez l'Empereur
Les forces de son Maître à celles de l'Empire
Un Allemand se mit à dire.

Notre prince a des dépendants
Qui de leur chef sont si puissants
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée
Le Chiaoux, homme de sens
Lui dit: Je sais par renommée.

Ce que chaque Electeur peut de monde fournir
Et cela me fait souvenir
D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie.


Mon sang commence à se glacer
Et je crois qu'à moins on s'effraie
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal
Jamais le corps de l'animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.


Je rêvais à cette aventure
Quand un autre Dragon, qui n'avait qu'un seul chef
Et bien plus d'une queue, à passer se présente
Me voilà saisi derechef
D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre
Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre Empereur et du nôtre.

idem
   Posté le 08-04-2005 à 15:24:38   

Les Voleurs et l'Ane!




Pour un Ane enlevé deux Voleurs se battaient
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre
Tandis que coups de poing trottaient
Et que nos champions songeaient à se défendre.


Arrive un troisième larron
Qui saisit maître Aliboron
L'Ane, c'est quelquefois une pauvre province
Les voleurs sont tel ou tel prince
Comme le Transylvain, le Turc, et le Hongrois.


Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois
Il est assez de cette marchandise
De nul d'eux n'est souvent la Province conquise
Un quart Voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du Baudet.


idem
   Posté le 11-04-2005 à 14:38:39   

Simonide préservé par les Dieux!



On ne peut trop louer trois sortes de personnes
Les Dieux, sa Maîtresse, et son Roi
Malherbe le disait, j'y souscris quant à moi
Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix
Voyons comme les Dieux l'ont quelquefois payée
Simonide avait entrepris
L'éloge d'un Athlète, et, la chose essayée.


Il trouva son sujet plein de récits tout nus
Les parents de l'Athlète étaient gens inconnus
Son père, un bon Bourgeois, lui sans autre mérite
Matière infertile et petite
Le Poète d'abord parla de son Héros.


Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux, ne manque pas d'écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux
Elève leurs combats, spécifiant les lieux.


Où ces frères s'étaient signalés davantage
Enfin l'éloge de ces Dieux
Faisait les deux tiers de l'ouvrage
L'Athlète avait promis d'en payer un talent
Mais quand il le vit, le galand.


N'en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquitassent le reste
Faites-vous contenter par ce couple céleste
Je vous veux traiter cependant
Venez souper chez moi, nous ferons bonne vie.

Les conviés sont gens choisis
Mes parents, mes meilleurs amis
Soyez donc de la compagnie
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange
Il vient, l'on festine, l'on mange.


Chacun étant en belle humeur
Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement
Il sort de table, et la cohorte
N'en perd pas un seul coup de dent.


Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge
Tous deux lui rendent grâce, et pour prix de ses vers
Ils l'avertissent qu'il déloge
Et que cette maison va tomber à l'envers
La prédiction en fut vraie.


Un pilier manque et le plafonds
Ne trouvant plus rien qui l'étaie
Tombe sur le festin, brise plats et flacons
N'en fait pas moins aux Echansons
Ce ne fut pas le pis, car, pour rendre complète.


La vengeance due au Poète
Une poutre cassa les jambes à l'Athlète
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés
La renommée eut soin de publier l'affaire.


Chacun cria miracle. On doubla le salaire
Que méritaient les vers d'un homme aimé des Dieux
Il n'était fils de bonne mère
Qui, les payant à qui mieux mieux
Pour ses ancêtres n'en fit faire.


Je reviens à mon texte et dis premièrement
Qu'on ne saurait manquer de louer largement
Les Dieux et leurs pareils de plus, que Melpomène
Souvent sans déroger trafique de sa peine
Enfin qu'on doit tenir notre art en quelque prix.


Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font grâce
Jadis l'Olympe et le Parnasse
Etaient frères et bons amis.

idem
   Posté le 12-04-2005 à 05:21:45   

La Mort et le Malheureux!



Un Malheureux appelait tous les jours
La mort à son secours
O mort, lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.


La Mort crut, en venant, l'obliger en effet
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre
Que vois-je! cria-t-il, ôtez-moi cet objet
Qu'il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi!


N'approche pas, ô mort, ô mort, retire-toi
Mécénas fut un galant homme
Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.

Ne viens jamais, ô mort, on t'en dit tout autant.

idem
   Posté le 13-04-2005 à 13:52:01   

La Mort et le Bûcheron!



Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé marchait à pas pesants
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.


Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur
Il met bas son fagot, il songe à son malheur
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.


Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts
Le créancier, et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée
Il appelle la mort, elle vient sans tarder
Lui demande ce qu'il faut faire.


C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois, tu ne tarderas guère
Le trépas vient tout guérir
Mais ne bougeons d'où nous sommes
Plutôt souffrir que mourir.


C'est la devise des hommes.


idem
   Posté le 14-04-2005 à 16:08:06   

L'Homme entre Deux Ages, et ses deux Maîtresses!



Un homme de moyen âge
Et tirant sur le grison
Jugea qu'il était saison
De songer au mariage.


Il avait du comptant
Et partant
De quoi choisir.
Toutes voulaient lui plaire
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant
Bien adresser n'est pas petite affaire.


Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part
L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature
Ces deux Veuves, en badinant.


En riant, en lui faisant fête
L'allaient quelquefois testonnant
C'est-à-dire ajustant sa tête
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait.


Afin que son amant en fût plus à sa guise
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles.


Qui m'avez si bien tondu
J'ai plus gagné que perdu
Car d'Hymen point de nouvelles
Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve qui tienne
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

idem
   Posté le 15-04-2005 à 12:39:30   

Le Renard et la Cigogne!




Compère le Renard se mit un jour en frais
et retint à dîner commère la Cigogne
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts
Le galant pour toute besogne.


Avait un brouet clair, il vivait chichement
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette
Et le drôle eut lapé le tout en un moment
Pour se venger de cette tromperie.


A quelque temps de là, la Cigogne le prie
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse.


Loua très fort la politesse
Trouva le dîner cuit à point
Bon appétit surtout, Renards n'en manquent point
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.


On servit, pour l'embarrasser
En un vase à long col et d'étroite embouchure
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer
Mais le museau du sire était d'autre mesure
Il lui fallut à jeun retourner au logis.


Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris
Serrant la queue, et portant bas l'oreille
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris
Attendez-vous à la pareille.

idem
   Posté le 20-04-2005 à 15:23:20   

L'Enfant et le Maître d'Ecole!



Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir
En badinant sur les bords de la Seine.


Le Ciel permit qu'un saule se trouva
Dont le branchage, après Dieu, le sauva
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule
Par cet endroit passe un Maître d'école
L'Enfant lui crie, "Au secours! je péris."


Le Magister, se tournant à ses cris
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer, Ah! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin.


Que les parents sont malheureux qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord
Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.


Tout babillard, tout censeur, tout pédant
Se peut connaître au discours que j'avance
Chacun des trois fait un peuple fort grand
Le Créateur en a béni l'engeance
En toute affaire ils ne font que songer.


Aux moyens d'exercer leur langue
Hé ! mon ami, tire-moi de danger
Tu feras après ta harangue.

idem
   Posté le 22-04-2005 à 14:47:53   

Le Coq et la Perle!



Un jour un Coq détourna
Une Perle, qu'il donna
Au beau premier Lapidaire
Je la crois fine, dit-il.


Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita
D'un manuscrit, qu'il porta
Chez son voisin le Libraire.


Je crois, dit-il, qu'il est bon
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire.







idem
   Posté le 28-04-2005 à 16:21:15   

L'Homme et son Image!



Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde
Il accusait toujours les miroirs d'être faux
Vivant plus que content dans son erreur profonde.


Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands
Miroirs aux poches des galands.


Miroirs aux ceintures des femmes
Que fait notre Narcisse? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure
Mais un canal, formé par une source pure.

Se trouve en ces lieux écartés
Il s'y voit, il se fâche et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau
Mais quoi, le canal est si beau.


Qu'il ne le quitte qu'avec peine
On voit bien où je veux venir
Je parle à tous et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir
Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même.


Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui
Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes
Et quant au Canal, c'est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes.





idem
   Posté le 29-04-2005 à 15:02:50   

Les Frelons et les Mouches à Miel!



De l'oeuvre on connaît l'Artisan
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent
Des Frelons les réclamèrent
Des Abeilles s'opposant.


Devant certaine Guêpe on traduisit la cause
Il était malaisé de décider la chose
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs
De couleur fort tannée, et tels que les Abeilles.


Avaient longtemps paru.
Mais quoi ! dans les Frelons
Ces enseignes étaient pareilles
La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière
Entendit une fourmilière.


Le point n'en put être éclairci
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une Abeille fort prudente
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante
Nous voici comme aux premiers jours.


Pendant cela le miel se gâte
Il est temps désormais que le juge se hâte
N'a-t-il point assez léché l'Ours?
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires
Et de fatras, et de grimoires.


Travaillons, les Frelons et nous
On verra qui sait faire, avec un suc si doux
Des cellules si bien bâties
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir.


Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode!
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de Code
Il ne faudrait point tant de frais.


Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge
On nous mine par des longueurs
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge
Les écailles pour les plaideurs.




idem
   Posté le 02-05-2005 à 15:28:35   

Le Chêne et le Roseau!


Le Chêne un jour dit au Roseau
Vous avez bien sujet d'accuser la Nature
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau
Le moindre vent, qui d'aventure.


Fait rider la face de l'eau
Vous oblige à baisser la tête
Cependant que mon front, au Caucase pareil
Non content d'arrêter les rayons du soleil
Brave l'effort de la tempête.


Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage
Vous n'auriez pas tant à souffrir
Je vous défendrais de l'orage.


Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent
La nature envers vous me semble bien injuste
Votre compassion, lui répondit l'Arbuste
Part d'un bon naturel, mais quittez ce souci.


Les vents me sont moins qu'à vous redoutables
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots.


Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs
L'Arbre tient bon, le Roseau plie
Le vent redouble ses efforts.


Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.

idem
   Posté le 04-05-2005 à 17:43:51   

Contre ceux qui ont le Goût Difficile!



Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope
Les dons qu'à ses Amants cette Muse a promis
Je les consacrerais aux mensonges d'Esope
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.


Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions
On peut donner du lustre à leurs inventions
On le peut, je l'essaie ; un plus savant le fasse
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau.


J'ai fait parler le Loup et répondre l'Agneau
J'ai passé plus avant, les Arbres et les Plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos Critiques.


Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d'enfant
Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d'un style plus haut? En voici, Les Troyens
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles.

Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens
Par mille assauts, par cent batailles
N'avaient pu mettre à bout cette fière Cité
Quand un cheval de bois, par Minerve inventé
D'un rare et nouvel artifice.


Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux
Que ce Colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devait porter dans Troie
Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes en proie.


Stratagème inouï, qui des fabricateurs
Paya la constance et la peine
C'est assez, me dira quelqu'un de nos Auteurs
La période est longue, il faut reprendre haleine
Et puis votre Cheval de bois.


Vos Héros avec leurs Phalanges
Ce sont des contes plus étranges
Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style
Eh bien! baissons d'un ton, La jalouse Amarylle.


Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins
N'avoir que ses Moutons et son Chien pour témoins
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux Zéphire, et le priant.


De les porter à son Amant
Je vous arrête à cette rime
Dira mon censeur à l'instant
Je ne la tiens pas légitime
Ni d'une assez grande vertu.


Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte
Maudit censeur, te tairas-tu?
Ne saurais-je achever mon conte?
C'est un dessein très dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.


Les délicats sont malheureux
Rien ne saurait les satisfaire.

idem
   Posté le 05-05-2005 à 13:13:52   

Conseil tenu par les Rats!



Un Chat, nommé Rodilardus
Faisait des Rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus
Tant il en avait mis dedans la sépulture.


Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou
Ne trouvait à manger que le quart de son sou
Et Rodilard passait, chez la gent misérable
Non pour un Chat, mais pour un Diable
Or un jour qu'au haut et au loin.


Le galant alla chercher femme
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa Dame
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente.


Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard
Attacher un grelot au cou de Rodilard
Qu'ainsi, quand il irait en guerre
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre
Qu'il n'y savait que ce moyen.


Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen
Chose ne leur parut à tous plus salutaire
La difficulté fut d'attacher le grelot
L'un dit, "Je n'y vas point, je ne suis pas si sot"
L'autre, "Je ne saurais, "Si bien que sans rien faire.


On se quitta. J'ai maints Chapitres vus
Qui pour néant se sont ainsi tenus
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines
Voire chapitres de Chanoines
Ne faut-il que délibérer.


La Courr en Conseillers foisonne
Est-il besoin d'exécuter
L'on ne rencontre plus personne.




idem
   Posté le 09-05-2005 à 15:32:12   

Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe!



Un Loup disait que l'on l'avait volé
Un Renard, son voisin, d'assez mauvaise vie
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé
Devant le Singe il fut plaidé.

Non point par Avocats, mais par chaque Partie
Thémis n'avait point travaillé
De mémoire de Singe, à fait plus embrouillé
Le Magistrat suait en son lit de Justice
Après qu'on eut bien contesté.


Répliqué, crié, tempêté
Le Juge, instruit de leur malice
Leur dit, Je vous connais de longtemps, mes amis
Et tous deux vous paierez l'amende
Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris.


Et toi, Renard, as pris ce que l'on te demande
Le juge prétendait qu'à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers
Quelques personnes de bon sens ont cru que
L'impossibilité et la contradiction qui est dans le.


Jugement de ce Singe était une chose à censurer
mais je ne m'en suis servi qu'après Phédre et c'est
en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.



idem
   Posté le 11-05-2005 à 13:38:23   

Les Deux Taureaux et une Grenouille!



Deux Taureaux combattaient à qui posséderait
Une Génisse avec l'empire
Une Grenouille en soupirait
"Qu'avez-vous?"se mit à lui dire.


Quelqu'un du peuple croassant
Et ne voyez-vous pas, dit-elle
Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un ; que l'autre, le chassant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?


Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé Madame la Génisse.


Cette crainte était de bon sens
L'un des Taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens
Il en écrasait vingt par heure
Hélas! on voit que de tout temps.


Les petits ont pâti des sottises des grands.


idem
   Posté le 16-05-2005 à 12:49:54   

La Chauve-Souris et les deux Belettes



Une Chauve-Souris donna tête baissée
Dans un nid de Belette et sitôt qu'elle y fut
L'autre, envers les souris de longtemps courroucée
Pour la dévorer accourut.


Quoi? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas Souris? Parlez sans fiction
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas Belette.


Pardonnez-moi, dit la pauvrette
Ce n'est pas ma profession
Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l'Auteur de l'Univers
Je suis Oiseau, voyez mes ailes
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.


Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer
Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie.


La voilà derechef en danger de sa vie
La Dame du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité d'Oiseau
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage
Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.


Qui fait l'Oiseau? c'est le plumage
Je suis Souris vivent les Rats!
Jupiter confonde les Chats!
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.


Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue
Le Sage dit, selon les gens
Vive le Roi, vive la Ligue.


idem
   Posté le 20-05-2005 à 17:00:39   

L'Oiseau blessé d'une Flèche!



Mortellement atteint d'une flèche empennée

Un Oiseau déplorait sa triste destinée

Et disait, en souffrant un surcroît de douleur

Faut-il contribuer à son propre malheur!


Cruels humains! vous tirez de nos ailes

De quoi faire voler ces machines mortelles

Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié

Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre

Des enfants de Japet toujours une moitié

Fournira des armes à l'autre.


idem
   Posté le 29-05-2005 à 20:46:15   

La Lice et sa Compagne!





Une Lice étant sur son terme
Et ne sachant ou mettre un fardeau si pressant
Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme.


Au bout de quelque temps sa Compagne revient
La Lice lui demande encore une quinzaine
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine
Pour faire court, elle l'obtient
Ce second terme échu, l'autre lui redemande.


Sa maison, sa chambre, son lit
La Lice cette fois montre les dents, et dit
Je suis prête à sortir avec toute ma bande
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étaient déjà forts.


Ce qu'on donne aux méchants
toujours on le regrette
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête
Il faut que l'on en vienne aux coups
Il faut plaider, il faut combattre
Laissez-leur prendre un pied chez vous
Ils en auront bientôt pris quatre.





idem
   Posté le 03-06-2005 à 08:28:32   

Le Lion et le Rat!



Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde
On a souvent besoin d'un plus petit que soi
De cette vérité deux Fables feront foi
Tant la chose en preuves abonde.


Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie
Le Roi des animaux, en cette occasion
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie
Ce bienfait ne fut pas perdu.


Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets
Dont ses rugissements ne le purent défaire.


Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.




idem
   Posté le 15-06-2005 à 07:04:44   

La Colombe et la Fourmi!



L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe
Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi.


S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive
La Colombe aussitôt usa de charité
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté
Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive
Elle se sauve et là-dessus.


Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus
Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête.


La Fourmi le pique au talon
Le Vilain retourne la tête
La Colombe l'entend, part, et tire de long
Le soupé du Croquant avec elle s'envole
Point de Pigeon pour une obole.





idem
   Posté le 17-06-2005 à 16:07:27   

L'Astrologue qui se laisse tomber dans un Puits!



Un Astrologue un jour se laissa choir
Au fond d'un puits. On lui dit, Pauvre bête
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir
Penses-tu lire au-dessus de ta tête?


Cette aventure en soi, sans aller plus avant
Peut servir de leçon à la plupart des hommes
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d'entendre dire.


Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire
Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté
Qu'est-ce, que le Hasard parmi l'Antiquité
Et parmi nous la Providence?
Or du Hasard il n'est point de science.


S'il en était, on aurait tort
De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort
Toutes choses très incertaines
Quant aux volontés souveraines
De Celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein.


Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l'esprit
De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit?


Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus ?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.


Le Firmament se meut, les Astres font leur cours
Le Soleil nous luit tous les jours
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer.


D'amener les saisons, de mûrir les semences
De verser sur les corps certaines influences
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'Univers?
Charlatans, faiseurs d'horoscope


Quittez les cours des Princes de l'Europe
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens
Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.


Outre la vanité de son art mensonger
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères
Cependant qu'ils sont en danger
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

idem
   Posté le 30-06-2005 à 05:50:45   

Le Lièvre et les Grenouilles!




Un Lièvre en son gîte songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?)
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux
Sont, disait-il, bien malheureux
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite
Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers
Voilà comme je vis, cette crainte maudite.

M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle
Et la peur se corrige-t-elle?
Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.

Ainsi raisonnait notre Lièvre
Et cependant faisait le guet
Il était douteux, inquiet
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre
Le mélancolique animal.

En rêvant à cette matière
Entend un léger bruit, ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière
Il s'en alla passer sur le bord d'un étang
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes.

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes
Oh! dit-il, j'en fais faire autant
Qu'on m'en fait faire! Ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?

Comment? Des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre!
Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.




idem
   Posté le 06-07-2005 à 03:27:44   

Le Coq et le Renard




Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois
Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix
Nous ne sommes plus en querelle.


Paix générale cette fois
Je viens te l'annoncer, descends, que je t'embrasse
Ne me retarde point, de grâce
Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer
Les tiens et toi pouvez vaquer.


Sans nulle crainte à vos affaires
Nous vous y servirons en frères
Faites-en les feux dès ce soir
Et cependant viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle.


Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleur nouvelle
Que celle
De cette paix
Et ce m'est une double joie.


De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous
Je descends, nous pourrons nous entre-baiser tous.


Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galand aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut
Mal content de son stratagème.


Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur
Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.




idem
   Posté le 07-07-2005 à 16:12:56   

Le Corbeau voulant Imiter l'Aigle!




L'Oiseau de Jupiter enlevant un mouton
Un Corbeau témoin de l'affaire
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton
En voulut sur l'heure autant faire.


Il tourne à l'entour du troupeau
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau
Un vrai Mouton de sacrifice
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux.


Je ne sais qui fut ta nourrice
Mais ton corps me paraît en merveilleux état
Tu me serviras de pâture
Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat
La Moutonnière créature.

Pesait plus qu'un fromage, outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau.


Que le pauvre animal ne put faire retraite
Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette
Il faut se mesurer, la conséquence est nette
Mal prend aux Volereaux de faire les Voleurs.


L'exemple est un dangereux leurre
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure.


idem
   Posté le 08-07-2005 à 16:16:17   

Le Paon se plaignant à Junon


Le Paon se plaignait à Junon
Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure
Le chant dont vous m'avez fait don.


Déplaît à toute la Nature
Au lieu qu'un Rossignol, chétive créature
Forme des sons aussi doux qu'éclatants
Est lui seul l'honneur du Printemps
Junon répondit en colère.


Oiseau jaloux, et qui devrais te taire
Est-ce à toi d'envier la voix du Rossignol
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies
Qui te panades, qui déploies.


Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La Boutique d'un Lapidaire?
Est-il quelque oiseau sous les Cieux
Plus que toi capable de plaire?
Tout animal n'a pas toutes propriétés.


Nous vous avons donné diverses qualités
Les uns ont la grandeur et la force en partage
Le Faucon est léger, l'Aigle plein de courage
Le Corbeau sert pour le présage
La Corneille avertit des malheurs à venir.


Tous sont contents de leur ramage
Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir
Je t'ôterai ton plumage.




idem
   Posté le 12-07-2005 à 00:58:08   

La Chatte Métamorphosée en Femme!



Un homme chérissait éperdument sa Chatte
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate
Qui miaulait d'un ton fort doux
Il était plus fou que les fous.

Cet Homme donc, par prières, par larmes
Par sortilèges et par charmes
Fait tant qu'il obtient du destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même.

Maître sot en fait sa moitié
Le voilà fou d'amour extrême
De fou qu'il était d'amitié
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori.

Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari
Il l'amadoue, elle le flatte
Il n'y trouve plus rien de Chatte
Et poussant l'erreur jusqu'au bout.

La croit femme en tout et partout
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés
Aussitôt la femme est sur pieds
Elle manqua son aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture
Pour cette fois elle accourut à point
Car ayant changé de figure
Les souris ne la craignaient point
Ce lui fut toujours une amorce.

Tant le naturel a de force
Il se moque de tout, certain âge accompli
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.

Quelque chose qu'on puisse faire
On ne saurait le réformer
Coups de fourche ni d'étrivières
Ne lui font changer de manières
Et, fussiez-vous embâtonnés.

Jamais vous n'en serez les maîtres
Qu'on lui ferme la porte au nez
Il reviendra par les fenêtres.

idem
   Posté le 13-07-2005 à 01:12:08   

Le Lion et l'Âne Chassant!




Le Roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer
Il célébrait sa fête
Le gibier du Lion, ce ne sont pas moineaux
Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et beaux.


Pour réussir dans cette affaire
Il se servit du ministère
De l'Âne à la voix de Stentor
L'Âne à Messer Lion fit office de Cor
Le Lion le posta, le couvrit de ramée.


Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison
Leur troupe n'était pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable.


La frayeur saisissait les hôtes de ces bois
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion

N'ai-je pas bien servi dans cette occasion?
Dit l'Âne, en se donnant tout l'honneur de la chasse.


Oui, reprit le Lion, c'est bravement crié
Si je connaissais ta personne et ta race
J'en serais moi-même effrayé
L'Âne, s'il eût osé, se fût mis en colère
Encore qu'on le raillât avec juste raison.

Car qui pourrait souffrir un Âne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.


idem
   Posté le 27-07-2005 à 04:56:09   

Le Loup et la Cigogne!




Les Loups mangent gloutonnement
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie.


Un os lui demeura bien avant au gosier
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne
Il lui fait signe, elle accourt
Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne.


Elle retira l'os, puis, pour un si bon tour
Elle demanda son salaire
Votre salaire ? dit le Loup
Vous riez, ma bonne commère!
Quoi? ce n'est pas encor beaucoup.


D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate
Ne tombez jamais sous ma patte.




idem
   Posté le 11-08-2005 à 07:12:29   

Le Lion abattu par l'Homme


On exposait une peinture

Où l'artisan avait tracé

Un Lion d'immense stature

Par un seul homme terrassé

Les regardants en tiraient gloire

Un Lion en passant rabattit leur caquet

Je vois bien, dit-il, qu'en effet

On vous donne ici la victoire

Mais l'Ouvrier vous a déçus

Il avait liberté de feindre

Avec plus de raison nous aurions le dessus

Si mes confrères savaient peindre.

idem
   Posté le 17-08-2005 à 16:21:49   

Le Renard et les Raisins



Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand

Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille

Des Raisins mûrs apparemment

Et couverts d'une peau vermeille.

Le galand en eût fait volontiers un repas

Mais comme il n'y pouvait atteindre

Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.

Fit-il pas mieux que de se plaindre?



idem
   Posté le 19-08-2005 à 13:32:16   

Le Cygne et le Cuisinier!



Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivaient le Cygne et l'Oison
Celui-là destiné pour les regards du maître.


Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être
Commensal du jardin, l'autre, de la maison
Des fossés du Château faisant leurs galeries
Tantôt on les eût vus côte à côte nager
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger.


Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies
Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup
Prit pour Oison le Cygne ; et le tenant au cou
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage
L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.


Le Cuisinier fut fort surpris
Et vit bien qu'il s'était mépris
"Quoi? je mettrois, dit-il un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main
coupe.

La gorge à qui s'en sert si bien!

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.


idem
   Posté le 22-08-2005 à 15:08:31   

Les Loups et les Brebis



Après mille ans et plus de guerre déclarée
Les Loups firent la paix avecque les Brebis
C'était apparemment le bien des deux partis
Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée.

Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits
Jamais de liberté, ni pour les pâturages
Ni d'autre part pour les carnages
Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens
La paix se conclut donc : on donne des otages.

Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis, leurs
Chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires
Et réglé par des Commissaires
Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats.

Se virent Loups parfaits et friands de tuerie
lls vous prennent le temps que dans la Bergerie
Messieurs les Bergers n'étaient pas
Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.

Ils avaient averti leurs gens secrètement
Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement
Furent étranglés en dormant
Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent
Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là
Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle
La paix est fort bonne de soi
J'en conviens, mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?


idem
   Posté le 03-09-2005 à 03:54:24   

Le Lion devenu Vieux!




Le Lion, terreur des forêts
Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse
Fut enfin attaqué par ses propres sujets
Devenus forts par sa faiblesse.


Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied
Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne

Peut a peine rugir, par l'âge estropié
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes

Quand voyant l'Ane même à son antre accourir
Ah! c'est trop, lui dit-il, je voulais bien mourir
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

idem
   Posté le 04-10-2005 à 15:03:01   

Philomèle et Progné



Autrefois Progné l'hirondelle
De sa demeure s'écarta
Et loin des Villes s'emporta
Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.


Ma soeur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue
Je ne me souviens point que vous soyez venue
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous
Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit, Eh quoi? cette musique
Pour ne chanter qu'aux animaux
Tout au plus à quelque rustique?

Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles
Aussi bien, en voyant les bois
Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois
Parmi des demeures pareilles

Exerça sa fureur sur vos divins appas
Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa soeur, que je ne vous suis pas
En voyant les hommes, hélas!
Il m'en souvient bien davantage.




idem
   Posté le 17-11-2005 à 22:34:56   

Le Loup et la Cigogne



Les Loups mangent gloutonnement
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie



Un os lui demeura bien avant au gosier
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier
Près de là passe une Cigogne
Il lui fait signe, elle accourt
Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne



Elle retira l'os, puis, pour un si bon tour
Elle demanda son salaire
Votre salaire? dit le Loup
Vous riez, ma bonne commère!
Quoi? ce n'est pas encor beaucoup


D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate
Ne tombez jamais sous ma patte

idem
   Posté le 06-01-2006 à 03:25:25   

La Femme Noyée




Je ne suis pas de ceux qui disent , Ce n'est Rien
C'est une femme qui se noie
Je dis que c'est beaucoup et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.


Ce que j'avance ici n'est point hors de propos
Puisqu'il s'agit en cette Fable
D'une femme qui dans les flots
Avait fini ses jours par un sort déplorable
Son Epoux en cherchait le corps.


Pour lui rendre, en cette aventure
Les honneurs de la sépulture
Il arriva que sur les bords
Du fleuve auteur de sa disgrâce
Des gens se promenaient ignorants l'accident.


Ce mari donc leur demandant
S'ils n'avaient de sa femme aperçu nulle trace
Nulle, reprit l'un d'eux mais cherchez-la plus bas
Suivez le fil de la rivière
Un autre repartit, Non, ne le suivez pas.


Rebroussez plutôt en arrière
Quelle que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte
L'esprit de contradiction
L'aura fait flotter d'autre sorte.


Cet homme se raillait assez hors de saison
Quant à l'humeur contredisante
Je ne sais s'il avait raison
Mais que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente.


Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra
Et jusqu'au bout contredira
Et, s'il peut, encor par-delà.

idem
   Posté le 13-06-2006 à 16:19:34   

Le Curé et le Mort!



Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte
Un Curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.


Notre défunt était en carrosse porté
Bien et dûment empaqueté
Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière
Robe d'hiver, robe d'été
Que les morts ne dépouillent guère.


Le Pasteur était à côté
Et récitait à l'ordinaire
Maintes dévotes oraisons
Et des psaumes et des leçons
Et des versets et des répons
Monsieur le Mort, laissez-nous faire
On vous en donnera de toutes les façons
Il ne s'agit que du salaire.


Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor
Et des regards semblait lui dire
Monsieur le Mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire
Et tant en autres menus coûts.


Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons
Sur cette agréable pensée.


Un heurt survient, adieu le char
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur
Notre Curé suit son Seigneur.


Tous deux s'en vont de compagnie
Proprement toute notre vie
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait
Et la fable du Pot au lait.